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Full text of "A travers les grouins"

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in  2011  witli  funding  from 

University  of  Toronto 


Il  ttp://www.arch  ive.org/details/traverslesgrouinOOtail 


Ipi 


A 

TRAVERS  LES  GROUINS 


E\  PHEPAliATloS  : 
IMBÉCILES  ET  GREIJINS 


DIJJ.N.  —  I.MI'IIIMKIIIE    liAllAXrlint 


''<i^:-:f: 


Z^-irr^i^j-r 


LAURENT  TAILHADE 


A  Travers 


Grouins 


Frontispice  de  LÉ  AND  RE 


%^!^'^^^^^ 


^ff  /Ml 

p.-v.  stockI 

8,    0,    10,    11.    GALERIE  •éïrj«^iKATp;YFfeANÇAlS 
PALAIS- ÇOxi"!- 


L'aulcur  cl  l'éditeur  rfcclarcnt  réserver  leurs  droits  île 
traduction  et  tic  reproduction  pour  tous  pays,  y  coriipiis 
la  Suéde  et  la  Norvège. 

Ce  volume  a  été  déposé  au  Ministère  de  l'Intérieur 
(section  de  la  librairie)  en  mai  l^'OO. 


De  cet  ouvrage,  il  a  été  tiré  à  part  :  2  e.r. 
Kiir  papier  Wliatman;  5  ex.  sur  papier  du 
./itj)oii  et  8  e.c.  sur  papier  de  Hollande. 


5  4,39 


/\      —     /\  ri 


A  Monsieur  Ernest  VAUGHAN 

En  hommage  d'affectueuse  gralUude. 


Paris,  le  17  janvier  1899. 


L.   T.  [( 

;< 

i 


PRECAUTIONS  ORATOIRES 


0  vieillard,  généralement  connu  sous 
le  nom  de  Père  Eternel,  qui^  suivant  \ 

Moïse,  Rochefort  et  le  comte  de  Mu?i,  créa  la  '/ 

lumière  antérieurement  au  soleil,  alias  M.  de 
l'Etre  ou  le  Dieu  des  Armées,  se  reposa  le  di- 
manche et  fuma  sa  pipe,  tel  un  boutiquier  re- 
traité dans  la  banlieue  sainte  de  /éroiischalaïm. 
J'imiterai  tin  exemple  si  autorisé,  pour,  ayant 
mené  à  terme  l'enchiridion  que  voici,  intégrer, 
par  façon  de  repos,  une  manière  de  plaidoyer 


10 


A    TRAVERS  LES    GROfINS 


CH  niT.  fafenr,  me  disculpant  aux  regards  des 
vieilles  dames  et  de  ma  tante  Jean  Lorrain. 

Quelques  lectrices  (disons,  pour  n'exagérer 
point,  une  demi-douzaine)  veulent  bien  me 
reprocher  le  man(iue  d'urbanité  de  ma  polé- 
mique, et  surtout,  prnh  pudor  !  les  termes  que 
j'emploie.  D'après  elles,  on  compromet,  par  de 
telles  violences,  plutôt  que  l'on  ne  sert,  la  jus- 
tice et  la  vérité.  Les  gros  mots  ne  conduisent  à 
rien, pas  même  au  sti/le  académique.  Xe pour- 
rait-on, en  un  langage  plus  civil,  dire  les  mêmes 
choses,  édulcorer  par  un  sucre  de  bienséances 
l'dpreté  des  invectives,  la  haine,  et  le  dégoût? 

A  dire  le  vrai,  l'objection  m'échappe  absolu- 
ment. 

Elle  eût  consterné  les  écrivains  les  m  ieu.r  fa- 
més des  âges  classiques  :  et  Montaigne,  et  Pas- 
cal, et  Molière  et  Saint-  Simon.  Je  ne  pense  pas 
qu'il  .toit  utile  d'être  mieu.r  appris  que  M.  de 
Voltaire  pour  abominer  Roche  fort  ou  sabouler 
Gaston   Méry.    La   pudeur  contemporaine,    à 


PRKCAUTI0N5    OR\TOIliE>  11 

Inquelle  je  défère  de  mon  mieux ^  est  un  sen- 
timent tout  à  fait  neuf,  issu  de  l'invasion  bou- 
tiquiére  dans  nos  comportements.  Louis  X/V, 
devant  les  duchesses,  ordonnait  d'arrêter  son 
carrosse  et  disait  au  cocher  pourquoi.  Ma- 
dame Adélaïde  avec  ses  sœurs  appelait  Marie 
Leczinska  :  «  maman-reine  »  et  la  Duharij 
((  maman-putain  «,  sans  que  cela  dérjraddt  le 
moins  du  monde  l'air  galant  et  noble  auquel 
ne  parviennent  que  malaisément,  aujourd'hui, 
les  patrons  des  Grands  Magasins  ou  les  nababs 
de  Chicago.  La  pruderie  du  langage  est  mer- 
veilleusement adéquate  à  l'entrée  dans  la  vie 
sociale  des  bonnetiers  enrichis,  des  usuriers 
triomphants.  Telles  sont  les  grâces  des  cou- 
peurs de  chemises  quand  ils  revêtent  leurs  bel- 
les manières  avec  un  frac  trop  neuf  et  se  pom- 
madent pour  briller  «  en  société  ».  A  présent, 
faire  visite  au  lieu  d'honneur  est  moins  ardu 
fine  l'appeler  par  son  nom,  qui  donnait  autre- 
fois une  riîne  à  Boileau. 


A  TRAVERS   LES    Gr.OUINS 


iV«/  n'oserait  proférer  devant  sa  concierge 
les  expressions  de  la  Palatine,  à  moins  que 
d'employer  le  texte  allemand. 

Je  voudrais  citer,  en  tète  de  ces  vers,  la  ré- 
ponse connue  de  VEIectrice  de  Hanovre,  à  la 
mère  du  Régent,  que  M.  Stock  la  bifferait  tout 
entière,  non  pour  sa  provenance  monarchique, 
mais  pour  son  incongruité. Quelle  gazette,  fût-ce 
le  Pcrc  Peinard,  imprimerait  aujourd'hui,  sans 
beaucoup  de  points,  la  jolie  épigramme  dont 
Voltaire  égayait,  aux  dépens  de  Vendôme,  le 
salon  des  Choiseul  : 


Ce  héros  que  tu  vois  ici  représenté. 
Favori  de  Vénus,  favori  de  Bellone, 
Prit  la  vérole  et  Barcelone, 
Toutes  deux  du  mauvais  côté. 


yéanuioins,  lectrices,  je  nie  conformerai  dé- 
sormais à  vos  admonestations.  H  n'est  offrande 


PRÉCAUTIONS  Or.ATOIRES  13 

qui  ne  vous  soit  due.  En  outre,  servant  une 
cause  proscrite  et  bien-aimée,  il  me  plait  obéir 
à  celles  dont  les  encouragements  nous  récon- 
fortent, dont  la  sympathie  nous  montre  le 
cliemin,  envers  et  contre  tous. 


A  travers  les  Grouins 


LA  PRIERE  POUR  TOUS 


*|;#rtQEND0N3  grâces  à  Dieu!  La  Ligue  Lien  venue 
kJLi^S  Réunit  marguilliers,  escarpes,  cliamls  ilo  vin 
Et  joui naleux  nounii  de  pâte  sans  levain  ; 
La  Vérité  lc3  scandalisa,  toute  nue. 


Maintenant  la  Patrie  est  sauve.  Tiioniphanls, 
Nous  jaculùns  des  vœux  intéressés  :  Dieu  donne 
Ouelques  dents  à  Darrès  ;  à  Coppée,  une  bonne  I 
Uiio  (lunsbourg  à  Loti  fusse  beaucoup  d'enl'anls  I 


1S  A    TRAVERS    LES    C^.OLINS 

Nous  sommes  sans  talent,  sans  honneur  el  sans  sexe. 
Le  bourgeois  nous  admire  et  déguste,  perplexe, 
Nos  mélanges  savants  de  fiel  cl  de  saindoux. 

Les  Jésus  sont  bons  pour  les  matruUes  hagardes. 
Prenons,  tel  un  chameau,  des  calus  anx  genoux  1 
—  Quand  il  aura  béni  toutes  les  vieilles  gardes. 

Puis  tous  les  KamoUots,  Dieu  ûniia  par  nous. 


VILLAMELLE 


VILLANELLE 


^^^3*f^5T  l'<ii'l'it'e  ilu  bon  ton 
Çg^^^  Le  youlie  cher  ii  Gamelle, 
C'est  Mcyer  porte-coton. 

Bravant  le  qu'en-dira-t-on, 
Aux  hidalgos  il  se  mêle. 
C'est  l'aibitre  du  bon  ton. 


Le  chouan,  lorrain  ou  bielon, 
Ne  va  point  à  sa  semelle  : 
C'est  Mcyer  porte-ciloii. 


20  A  TRAVEnS   LFS  or.ocixs 

L'âme  alroce  de  Calon 
N'a  pas  en  lui  sa  jumelle. 
C'est  l'arbili-e  du  bon  Ion. 


Les  coups  de  pied,  de  bdlon, 
Dilatent  sa  jrai'gamelle. 
C'est  Meyer  porle-coton. 

On  prise  fort,  chez  Golon, 
L'empois  qui  le  caraniMe  : 
C'est  l'arbitre  du  bon  ton. 


Il  craint  le  fer.  Se  bal-oii, 
Sa  cacarellc  est  formelle  : 
C'est  Meyer  porle-coton. 

Il  éloi^rne  l'esponlon. 

La  llaniliei'ge,  ralumelle  : 

C'i'st  l'ailiitro  du  bon  ton 


VILI,ANEI,LK  21 


A  deux  mains,  contre  un  selon 
Il  prolèïe  sa  flanelle. 
C'est  Meyer  porlc-coton. 

Chauve  de  partout,  Giton 

De  mainte  vieille  andrumclle. 

C'est  l'arbitre  du  bon  ton. 


Il  drapa  le  hoquclon 
Chez  Antigny,  sa  furaelle  : 
C'est  Meyer  porte-coton. 

Il  marine  comme  un  thon 
Dans  le  chrême  qui  graniell 
C'est  l'arbitre  du  bon  Ion. 


C'est  Dangeau,  c'est  Hamillon, 
Brummel  dompteur  de  chamelle  t 
C'est  Meyer  porte-coton 


23  A  TRàVEIlS    LES  GROUINS 

L'É^Hje  aime  ce  croùlon 
Kl  lei  gaupcs  l'ont  comme  elle. 
C'est  l'arbitic  du  bon  ton, 
C'cil  Mcycr  porte-coton. 


JIAI.NTENEOn     ES  JEUX    FLOnAUX 


MAINTENEUR  ES  JEUX  FLORAUX 


A  inris  amis  de  Toulouse 

^\\^YA^sT  coillc  son  casque  à  mcelic  cl  revèlu 
(5x^l2'  Le  frac  des  troubadours  qu'illuslre  une  giberne, 
Perrossier,  Némorin  compliqué  de  baderne, 
S'escrime  après  Zola  d'un  braqucmart  pointu. 

Jchanne  d'Arc,  il  préconise  la  vertu 
El,  chez  les  bons  gagas  des  jeux  Floiaux,  lanterne, 
Cueille  des  fleurs  en  papier  peint  puis.  Ires  moderne, 
Sur  leur  vieux  mirliton,  sitlle  «  turlulutu  !  » 


21 


A   TRAVF.nS    LES   GHOKI  iS 


Car  il  est,  au  milieu  de  ces  gens  asllimaliques. 
Tenace  à  ravauder  la  chanson  des  lilas, 
Siu-ianl  do  pclils  vers,  bonbons  diabéliqucs 

Dont  Peyralade  poûtc  avcs  un  fort  soûlas. 

Et  c'est  pourquoi,  guerrier  aux  frousses  aulheiiti(|ues 

Poclc  insuffisant  aux  plus  vils  chocolats, 

Il  épanche  sur  les  Mailres  son  dcguclas. 


CBAUVINISME   ^ARUJNIKR 


CHAUVINISME  SARDINIER 


Or,  les  Nanta'S  ont  fait  savoir  nu 
bureau  de  l'Association  qu'ils  refu- 
saient de  recevoir  ses  mcmhres,  si 
M.  Grimaud  en  i-estait  président. 
Dr  Paul  Arch\mrault. 


ÎVjyP^  APiTAiNES  vaseux,  gcntillàtres  dévols, 
'?^^^I   El  les  som-olTà,  et  les  vicaires  aux  pieds  sales 
Devanl  Giiniaux  (un  syndiqué!)  ferment  leurs  salles, 
EL  tous,  avec  transport,  beuglent  comme  des  veaux, 

Car  la  Province,  dont  les  mœurs  sont  étonnante^,, 
Prise  Judet,  BoisdelTre  et  Pel lieux  aussi. 
Los  miracles  de  Lourde  et  l'ange  Esterliazy 
Conjouissent  le  cœur  inibécile  de  Nantes, 


3b  A    IRIVEUS    LES   GROUINS 

C'est  pourquoi  les  marchands  de  thon,  les  iiobcrciux 
Se  rebiffent  à  la  manière  des  taureaux, 
Abominant  le  juif  sur  la  Loire  et  sur  l'Erdre. 

L'eau  bcuilc  leur  est  un  «  sorlUége  bu  ». 

Ce  qu'on  leur  voit  d'esprit  court  en  Druinont  se  pL-rdrc  : 

A  ces  causes,  il  sied  de  dire  —  Ici  Ubu,  — 

Pour  la  rime  et  pour  la  raisou  :  Vive  l'Armerdre! 


<^- 


PREDICATEURS    DE    CAREME 


PREDICATEURS  DE  CAREME 


ANS  l'égtiseoù,  béais  et  crasseus,  maints  fidèles 
i-^r^   Apportent  un  encens  de  pieds  ou  de  guauo, 
L'abbé  Vigoureux  et  son  compère  Etourneau 
De  la  chaire,  en  cinq  secs,  dépassent  les  modèles. 


Bossuet,  Ezéchiel  et  Jocrisse,  comme  un 

Seul  homme,  à  travers  leurs  discours  se  font  entendre 

Et  la  vieille  Loti,  plus  fardé  que  Clilandrc, 

Rit  au  sabre  avalé  par  le  comte  de  Mun. 


--"  A  Tnxvi-ns  i.B-i  oaoriNS 

Hanolaux,  en  françaii  d'almanach,  pontifie  : 
El  tous,  cabots,  prélats,  ont  leor  photographie 
Dans  les  vitrines,  près  de  l'assassin  du  jour. 

L'œil  somnole,  on  dépit  des  contenances  roidei. 
Cependant  que,  malgré  leur  gorge  faite  au  tour. 
Les  dames  sans  chemise  ont  un  fort  béguin  pour 

fiarrcs  d(int  la  froideur  va  jusqu'aux  humeurs  froides. 


^ 


VIEILLE    DAME 


'29 


VIEILLE  DAME 


Inler  Sucraticos  nolissima  fussa  cinœdos. 

JUVK.NAL. 


i^A>:*;  PRÈS  avoir  morné  tant  de  rob 
iJJl^Sii)   —  Heureux  vaincu  Je  ce  conil 


robustes  piques, 
<^^A^2)   —  Heureux  vaincu  Je  ce  combat  qui  lui  l'ut  cher 
Et  poussé  dans  le  plus  intime  de  sa  chair 
«  Les  drafjons  chevelus,  les  grenadiers  épiques,   > 


Ma  tante  Jean  Lorrain  adhère  au  boniment 
Coppéen,  par  qui  va  tleurir  la  Paix  aimée, 
Sans  nul  autre  désir  que  prouver  à  l'Armée 
Sou  amour,  en  détail  et  collectivemeut. 


rO  A  trave:»s  les  groiins 

Palpitml  (les  viols  subis  avec  ivresse, 
Il  inibiiii»  les  rc-gimcnls  de  sa  caresse, 
Donne  aux  liinglols  des  noms  de  princes  fabuleux. 

Son  cœur  oU  ^'rand  ouverl  à  leurs  jeux  déléléres, 
Palrii  t3  côHinic  ciiamson  I  —  Les  cordons  bleu» 
Et  \ei  vieilles  puUins  ainoent  les  militaires. 


?fǫ 


NATIONALl-TEb 


NATIONALISTES 


7/>^ç\è)  oiROXNK  de  persil,  d'aclie  cl  de  seringat, 
(^2^15  Estimé  par  Forain  qui  le  passe  à  Del'eure, 
L'Eminenl  Ecrivain  mijote  dans  le  beurre, 
Sous  les  yeux  attendris  du  père  Vascagat. 


Cassagnac,  tout  enfant,  aux  plages  malabarcs, 
Frct-é  de  graisse,  avec  dc.î  plumes  dans  le  nez, 
Cependant  que  ronflaient  dcj  peaux  d'âne  barbares, 

Improvisa  quelques  clialiuts  bien  soudanais. 


3i  A    TRAVF.nS  LE-;    GltOl'ISâ 

JuJet  qui,  chaque  jour,  suiolc  l'ignoniinie, 
Arlbur  Meyer  faisant  manœuvrer  son  génie 
A  travers  les  biJels  et  les  fonU  baptismaux. 

Voilà  Jonc  quels  tengeitrs  s'arment  pour  ta  querelle, 
Patrie  !  et  Max  Rfgis  choyé  des  maquerclles, 
Et  Drumout  élu  par  les  dompteurs  de  chameaux  ! 


m:m 


33 


BALLADE 

POUR    CONGRATULER    MES    BONS    AMIS   LES 
ÉTUDL^NTS  DE  l'A,    SUR    LEUR  INTER- 
VENTION DANS    LES  AFFAIRES 
PUBLIQUES 

.1  Emile  Coltinct. 

fiïJ/iGi\ES  ailés,  l'eu  mâchant  par  la  Liouclic, 
[l^?  Licorne  bleue  aux  ongles  sniaragdius, 
Cucqujcigrue,  alérion  faiouclie, 
Hircocerf  plus  rapide  que  les  daims, 
Ils  ont  vaincu  les  animaux  soudains  : 
Aspics,  zébus  aux  flancs  tachés  de  rouille. 
L'aigle  de  mer  avec  les  agamis. 
De  plus,  ils  sont  très  bons  pèche-grenouille. 
Portant  sur  eux  tous  les  gris-gris,  hormis 
Le  rameau  d'orqui  dissipe  la  Trouille. 


3i  A  TnwEns  i.fs  OToriNS 

En  faveur  lUi  galon  prenant  la  mouche, 

Dans  les  cafés  noclurnes,  ces  édens, 

Ils  vengent  leur  pallie,  ou  bien  font  souche, 

Entre  les  draps  impayés  des  câlins. 

«  A  bas  Dreyfus  !  A  bas  Zola  !  »  fiandins 

Sortis  de  chez  les  Bons  Pères,  arsouilles 

Qu'ont  les  bahuts  les  moins  doctes  vomis, 

En  eux  Sottise  impudente  bafouille  : 

Mais  à  leurs  mains  aucun  dieu  n'a  commis 

Le  rameau  d'or  qui  dissipe  la  Trouille. 

Pour  Dcschancl,  grand  ma>trc  os  fausse  couche, 
De  la  Sorbonne  ils  ornent  les  gradins. 
Monsieur  Barrés  leur  apprend  comme  on  louche, 
Pour  éclipser  calicots  cl  mondains. 
L'air  cacatoirc  et  la  gigue  en  boudins. 
Leur  Président  se  bal  parfois,  mais  souille 
Les  caleçons  quadruples  qu'il  a  mis 
Et,  dans  la  rue,  où  leur  cohorte  grouille, 
Nul  ne  présente  aux  électeurs  soumis 
Le  rameau  d'nr  i|ui  dissipe  la  Trouille. 


-Alailie-valel,  souteneur,  nii:ue(louille, 
Al  i-ueille-les  1  Ce  sont  bien  les  amis. 
riiie  chez  Vcrvooit  le  troupeau  soit  aJmis. 
L:\cli03,  braillards,  et  tôt  sonnant  la  gouillc, 
•Ju'à  leur  crapule,  un  jour  tout  soil  permis, 
Fuis  le  rameau  qui  dissipe  la  Trouille. 


^ 
* 


36 


A    rR\VFR>  LES  GIO-INS 


.MALEDICTION  DE  l'ALLAS 


<f/r?\^'E^T  au  Palais-Bou-lion  plein  de  vclérinairps 
'^^01  El  de  curi's  aux  lîiods  félidps,  que  Pallas 
AlliOno,  rcvoyanl  ce  flol  de  cancrelats, 
Se  soulaïc  en  des  hcxamèlres  débonnaires  : 


Les  voici  donc  tous  ces  goitreux  que  décapa, 
Dans  les  l)Ourt.'s  ou  les  préfectures  lacitum'-s. 
Le  bain  mal  odorant  et  propice  des  urnes. 
Voici  l'aul  Deschancl  plus  veau  (juc  son  papa. 


MALKOICTJON     UE    PALLAS  37 

-Mais,  liélas  I  pour  charmer  l'ennui  des  heures  flasques, 
Je  ne  reverrai  plus  Barrés  pareil  aux  masques, 
D'un  Talleyrand  dcnlisle  ou  d'un  Guizot  portier. 

Et  nous  pleurons,  moi  la  Déesse  el  lui  la  peste. 
Devant  le  noir  Destin  qui  ne  fait  nul  quai  lier, 
Les  deux  cent  mille  francs  que  lui  coûta  sa  veste  ! 


3J  A  TftAVERS   LES  OROOINS 


ROCHEFORT  AIX  GLA\IOTS 


[  E  inarrobc  de  Y  Intransigeant,  le  Miche, 
Vaudevillisle  mùr  pour  les  rapuciiiadca, 
l'.ciiiit  ilii  hran  et  des  calliarics  en  lornadcs 
Sur  son  iiiufle  où  tous  les  lions  hougres  onl  craclic. 


Restez,  villa  I)iii>onl,  maripiis,  sur  celte  chaise 
Pciréc  où  le  praiid  îv^a  et  Vervoort  vous  onl  mis, 
Utile  à  voire  femme,  cl  bon  pour  ses  amis. 
—  Mais  ne  vous  risiiiicz  pins  vers  le  Poie-Lailiaist 


nOClIEFORT    AUX    GLAVIOTS  39 

Car  les  .facques  sauraient  vous  raeLlre  au  dépoloir, 
Baladin  qui,  sur  les  restes  de  Victor  Noir, 
Défailliles,  pâmé  de  frousses  colossales. 


Voire  temps  est  fini,  vieux  pitre,  6  Rochcfort  ! 
Vous  êtes  désormais  Géronte  et  non  Bcaufort, 
Le  protégé  des  flics  et  non  le  Roi  des  Halles. 

^21  mai  (SUS.    . 


40  A    TUAVERS    LIS   GUOCINS 


SONNET 


NVTOKj  AnQL'is  du  ^  ascag.il;,  6  rioinnln,  ô  Piavroche. 

^^^K  Oui  de  la  gens  Vervoorl  appiijvz  If  tiiiliiii, 
\  oici  le  temps  pour  vous,  paillasse  el  eoi|ucl)in. 
D'exlialer  un  esprit  (jui  n'est  pas  saiia  repruche. 


Dnimont,  le  sacristain  nidoreux,  le  larliin 
Dont  les  femmes  en  mal  d'enfant  eraijinont  l'approclie, 
Laid  comme  un  pou,  va  siéj;cr  prés  d'Ernest  Roclio. 
Voire  beau-frère  seul  clapote  dans  sou  buiu. 


11  no  connaitra  pas,  ce  phénix  des  beaux-fréres, 
L;i  tribune  où,  deux  fois,  malgré  les  venls  contraires, 
lîarrés  porta  sa  Iripc  à  la  mode  de  Kant. 

Pour  sa  croupe  d'azur  que  le  clarine  jalouse 
liriimrael  n'aura  de  frac  ni  Thivrier  de  blouse 
Kl  Lisbonne  diia  qu'il  manque  un  peu  de  cant. 


iî 


A   rn.VVERS    I.KS  GUOtINS 


\iij-.\m;lij-: 


^.•^y^KiivoonT  esl  un  poisson  bleu. 
j^)J^   Co  i|u'il  fait  n'est  tiiiéro  honnête, 
Mieux  vaudrait  tricher  au  jeu. 


Quant  à  moi  je  goûte  peu 
Son  langage,  sa  Ijinelte  : 
Vcrvoort  est  iin  poisson  bleu. 

Il  hat  lo  rapiinl,  monlieii  I 
Puis  escompte  la  biunette  : 
.Mieux  vaudra. t  triclier  au  jeu. 


VILLANELLE  41 


Il  vend,  comme  Gandibleu, 
Les  tripes  de  Fanchonnette, 
Vervooi't  est  un  poisson  bleu. 

Son  odeur  lient  de  l'émeu, 
Du  putois,  de  la  genette  ! 
Mieux  vaudrait  tricher  au  jeu. 

A  Rochefort,  combien  feu  ! 
11  dicte  mainte  sornette. 
Vervoort  est  un  poisson  bleu. 

0  l'abject  lesse-mathieu 
Dévot  à  la  baïonnette  ! 
Mieux  vaudrait  tricher  au  jeu. 

Que,  des  talons  au  cheveu, 
La  plus  fine  l'encoinctle  I 
Vervoort  est  un  poisson  bleu, 
Mieux  vaudrait  triclier  au  jeu, 

mm 


A  TRAIEP.S  LES    GROUnS 


VILLANELLH 


l^AiM  ^''"^  Ven'oori  nous  assigne, 
^^JJ^S  Mon  cher  Philipppe  Dubois  : 
l'niKiroiis  nasses  cl  ligne. 


Comme,  en  août,  une  maligne 
(-Iiiéche  aliatlanl  des  noix, 
Arulré  Vervoorl  nous  assigne 


Et,  scomlicroïde  insigne, 
.Nous  veut  réduire  aux  abois. 
Pré|ijrous  i:assés  et  ligne. 


VILLANELLE  45 


Immaculé,  fleur  de  cygne, 
Plus  blanc  que  les  palefrois, 
André  Vervoort  nous  assigne. 

L'amour  lui  fut  une  vigne 
Pampinanle  el  de  bon  choix. 
Préparons  nasses  et  ligne. 

Pour  que  Boisdcffre  s'indigne 
El  que  l'on  nous  mette  en  croix, 
André  Vervoort  nous  assigne. 

Que  nul  n'accuse  la  guigne, 
Mais  bien  le  retour  des  mois. 
Préparons  nasses  et  ligne. 

11  laut  b'en  qu'un  dos  s'aligne 
Dans  la  saison  des  bains  froids. 
André  Vervoort  nous  assigne, 
Préparons  nasses  et  ligne. 

25  mai  1898 


.»    TRAVEnS  I.V.S  GnODIS'î 


HALL A DE 

rOUR  CKLÉBHKK  l,E  1  lASCO   DE 

-M.  Gaston  Mkrv 


«  M.  Gaston  Mcru.  de  la  Libre  Parule.  qui  n  In 
prétention  de  souhaiter  à  Cyvoct  In  bicnreniie  an 
nom  du  Journal  des  jésuites,  est  reconnu  jiar  le 
asxisinnts  cl  sommé  de  sortir  de  la  salle. 

•  Je  suis  venu  ici  pour  saluer  Ci/vocl  au  nom 
de  la  Libre  Parole.  Iialbutie  M.  i/éry.  et... 

t  11  ne  peut  continuer.  Un  terrible  concert  d'im- 
précations et  d'injures  s'élève.  On  crie  de  toutes 
jiarts  :  •  .4  bas    la  calotte!  A  bas  la  voyante!  > 

"  M.  ilérij  est  obligé  d'abandonner  la  salle  cl 
se  relire,  non  sans  recevoir  au  passage  rpiclijuci 
horions.  » 


f l^j^)  oNSiKun  Drunioiit  (|iii,  pour  aller  cm  innsiiiu-, 
î^î^K   Mrl  un  prépuce  on  guise  île  faux  lie, 
I>03  lioiiûus,  oulragcuse  bourrasque, 
El  ilii  crachai  plusieurs  fois  géminé 
Sau»e  son  groin  de  porc  enchifrené. 


47 


Mais,  souteueur,  aigrefin,  casserole. 
Vont  foisonnant  à  la  Libre  Parole, 
Le  bleu  dos  dos  y  lorme  un  arc-en-ciel 
Et,  comme  un  lis  à  travers  l'escarole, 
Méry  fait  voir  l'Archange  Gabriel. 


Ferrer  la  mule  ou  bâter  la  tarasquc, 
Prendre  une  vieille  au  poil  teint  de  henné. 
Jouer  du  luth  ou  courir  comme  un  Basque, 
Cela  se  peut  à  quiconque  est  bien  ué. 
Mais  fournir,  chaque  soir,  à  l'abûnnc, 
Sous  la  lueur  du  quinquet  à  pétrole. 
Quelque  prodige  et  l'enduire  de  miel. 
C'est  à  donner  la  petite  vérole  ! 
Tel,  néanmoins,  sans  airs  de  FrageroUc, 
Méry  fait  voir  l'Archange  Gabriel. 


La  Couodon  qui  met  son  vin  en  fiasque, 

Ne  montre  pas  les  lignes  de  Phryné  : 

Mais  les  Kéroubs  ont  un  goût  si  fantasque  ! 


48  A  TRAVEItS    LES  GROl'INS 

J.-K.  Uuysmans  en  demeure  étonné  ; 
Le  Sacré-Cœur  lui-ucmc  est  consterné. 
Car,  attirant  once  d'or  ou  pistole, 
Gaston,  ledoax  nabi,  sur  maint  Pactole, 
Peut  intégrer  au  geste  essentiel. 
Sans  revêtir  la  chape  ni  l'étole, 
Mcrv  fait  vjir  r.\r  han^e  Gabriel. 


Cyvoct  !  pour  vous  clia  ilcr  sa  barcarolc 
Extralucide,  il  vint  comme  Ariel, 
D'un  long  euslache  apprêtant  la  virole. 
A  coups  de  pied  en  plein  potentiel, 
Reconduisez  ce  nouveau  l>csbarollc  ! 
Jléiy  fait  voir  l'Archan^'e  Gabriel. 


VH.LANELLE  49 


VILLANELLE 


On  l'a  tué  coiime  un  César. 
Comme  un  cmjirrcuv.  coinii.c  un  tza  r, 

A'.'.ISTI'JE   BaUANT. 

f 

uuMONT  lut  assassine, 
-       Dans  Alger,  en  Barbarie, 
l'itrce  nobh,  Domine  !  i 


Max  Rcyiscjl  consterne, 
Car  un  pétard  l'excoi-ic  : 
Drunionl  l'ut  assassiné. 

liruiiiont  au  blair  chilTounê, 
Druniont,  l'enlanl  de  Marie  : 
l'arcn  ?1'j6(.s,  Domine  ! 


50  A  travehs  les  grociss 

D'Auj;ias  trop  forlunc 
11  vidangeait  l'écurie  : 
Drumo  il  lui  assass'nc. 

El  l'Aralic  déchaîne 
L'abreuvail  d'idolâlrie  : 
Parce  nohis,  Domine  ! 


Bab-Azouii,  illumiué, 
Massacrait  lajuivcrie. 
Druinont  fui  assassiné. 


Pour  dételer  son  poney. 

Tous  marchaienl  en  j;rand'furie, 

Parce  nobis^ Domine! 


Mais  son  carrosse  a  tourné 
Ru'  do  la  Ferronnerie  : 
Drumoit  fui  assassine. 


VILLANELLE  51 


Qu'on  aille  chez  l'allorn'^y, 
C'est  un  deuil  poui'  la  pairie  1 
Parce  nobis,  Domine  ' 

Hosannah  I  qui  lait  un  né  ? 
C'c?t  la  franc-maçonnerie  : 
Drumont  fut  assassine  : 
Parce  nohis.  Domine  ! 


m 


52  A  TRAVERS  LES   GROTINS 


HAI.LADi:  l'ATKIOTIOL'E 


SIR   LA    I.OIANCE  DV  COLONEL   HENHY 


JXv>]\J  AMT  (lu  Drap  d'Or  cl  vous  lice  guerrici  c 

'^^^;r)5  '^^'''*  Beauinanoir  ou  des  Monlgonuncry, 

Quelques  héros,  poursuivant  la  carrière, 

Oui,  de  nos  jours,  vos  palmes  refleuri. 

Les  cainelols  mènent  leur  hourrari. 

C'est  Roclicfort,  Thièbaud  et  Millevoye, 

Arthur  Meyer,  Judct  qui  semble  une  oie, 

Et  puis  Barrés  gazouillant  da  capo. 

Si  que  Drumonl  ne  se  lient  plus  de  joie  : 

L'houneur  lleuril  à  l'umbrc  du  Drapeau. 


BALLADE    PATRIOTIQUE  53 

Après  avoir  besogné  sa  prière, 
Boisdeffre..  comme  un  abcès  trop  mûri, 
S'est  répandu  chez  la  gent  huitrière 
Des  sacristains  patriotes.  Un  cri 
D'amour  :  «  Voici  le  colonel  Henry  !  » 
Est-ce  Roland,  sir  Pandarus  de  Troie, 
Ou  Maugiron  en  armure  de  soie, 
Qui  de  tranchant  et  d'estoc  fait  rampo  ? 
Tels  champions  se  peut-il  que  l'on  voie  '? 
L'honneur  fleurit  à  l'ombre  du  Drapeau. 

Le  torse  nu,  portant  sous-ventrière 
Et  maints  agnus  vantés  par  G.  Méry, 
Comme  il  est  beau  de  rage  meurtrière  1 
Morts  du  Tonkin  et  morts  de  Satory, 
Vos  officiers  (tel  Ubu,  chez  Jarry) 
Prennent  le  sabre  et  la  dague  où  se  noie 
Le  sang  des  cœurs,  l'atrabile  du  foie, 
Hélas  I  Picquart,  en  lui  piquant  la  peau. 
Du  sieur  Henry  le  cubital  foudroie  I 
L'honneur  fleurit  à  l'ombre  du  Drapeau. 


oi  A  TRAVERS  I.E<  GnOlINS 


Prince  Crozior,  successeur  de  Monljoic, 
Le  protocole  est  dans  la  bonne  voie  ; 
Chaulons  noël  de  Saralow  à  Pau  ! 
Que  l'iris  des  trois  couleurs  se  déploie  : 
L'honneur  lleurit  â  l'onilire  liu  Drapeau. 


S5 


BALLADE 

POUR  MAGNIFIER  LE   «    CERVEAU-CHEF    » 


5r.\e3t  Lafleur,  Labranche  ou  Lajeunesse, 
Et  Laverdurc,  el  Poilaunez,  et  Bec,  | 

Et  Jean  Rameau  vanté  pour  sa  finesse, 
Et  le  cafard,  el  le  snob,  et  le  grec. 
Suivent  Barrèj-psychopompe,  leur  cheik. 
Tous,  à  l'envi,  pour  humer  la  gadoue 
Et  récolter  da  pognon  dans  la  boue. 
Citent  Hegel,  avec  des  mots  pédants  ; 
Mais  lui.  poussif,  bientôt  cane  et  s'enroue  : 
C'c3t  un  requin  avec  de  fausses  dents. 


A  TllVVF.RS    l.rs  GROUINS 

Il  enviait,  au  temps  de  sa  jeunesse, 
Les  margotons  et  ceux  qui  font  avec. 
Son  estomac,  qu'emplit  le  lait  d'ànessc. 
Dégobillait  cervoise  et  jerez  sec. 
Venus  lui  fut  gccéreusc  en  échec. 
N'ombra  jamais  sa  lèvre  ni  sa  joue 
Le  poil  follet  dont  Muselle  s'engoue. 
Mais  la  Boulange,  enuni  ses  claquedents, 
Le  vit  monter  «  en  esquivant  la  roue  »  : 
C'est  un  requin  avec  de  fausses  dents. 

Les  électeurs,  de  Port-Vendre  à  Gonessc, 
Fidèlement  reconduisent  son  breack. 
Lourdauds  impurs  I  Faut-il  qu'on  méconnaisse 
Goelhe  et  Morny  panachés  de  Gobseck, 
Barrés  enfin,  tribun,  daiidic  ou  mec. 
Son  avaloire,  où  le  chicot  se  joue, 
Laijse  fillrer  une  adorable  moue, 
Et,  comme  il  fut  nanli  d'inslincts  prudents. 
Au  milieu  des  Hamollots,  il  s'ébroue  : 
C'est  un  requin  avec  de  fausses  dents. 


Napoléon  1  Bandit  qu'un  pleutre  loue, 
Vois  !  Erynnis  Ion  phantasme  dévoue 
A  ce  Banès,  frère  des  Peladans  : 
El  l'histrion  sur  ta  peau  fait  la  roue  ! 
C'est  un  requ-n  avec  de  fausses  dents. 


(DP 


r.7 


08  A  TBAVEIt.';  LES  UROLINS 


1 


vTA^E-  oleriPurs  de  la  Meurthc  et  de  la  MospUe 

jr^^35)  '-uré*-  pii'aiit>,  boufL-crtis  au\  gaiils  de  filoii^ll.', 

Mastroquels,  tenanciers  de  lupanars  aussi, 

Les  électeurs  de  Toul,  de  Briey,  de  Nancy, 

Marguilliers  sur  leurs  baoes  et  maçons  dans  leurs  lo?C5, 

Se  désopilent  à  déraciner  les  Vosges. 

Car,  tandis  que  Driimont,  en  Alger,  fait  florès, 

La  ^foire,  le  Destin,  l'Anankè  sur  Barrés 

Exercent  des  rigueurs  à  nulle  autre  pareilles. 

En  vain  il  rebattit  sans  pudeur  nos  oreilles 
De  la  Lorraine  (cet  Auvergnat!/  du  drapeau 
Et  de  Hegt.-l,  les  élect^-urs  disent  :  c  La  peau  I  > 

0  comble  de  misère  !  0  douleur  forcenée  I 
Pendant  quatre  ans  encor,  nous  verrons  des  Jounicei 
Parlementaires  et  les  articles  mordants 
Où  l'intelleclucl  aux  mâchoires  sans  dents 
E\hale,  cha()ue  soir,  âme  de  griefs  pleine, 
Sa  rancune  •  t  le  faeuenas  de  son  baleine. 


59 


ijui  pourrail  cependant  représenter  l'émoi 
Dont  renâcle,  en  ce  jour,  le  pontife  du  Moi  ? 
Avoir  léché  le...  dos  clérical  de  Boiïdeffre, 
(^Rcisland  demanderait  une  autre  rime  en  effre) 
Avoir  gueulé,  tel  un  pulois,  contre  Zola, 
Etre  la  crème  des  pleutres,  et  rester  là  ! 
Cnssagiiac  de  qui  les  grand'mères,  par  la  queue 
Se  suspendaient  aux  cocoliers  des  forêts  bleues, 
(;a34agiiac,  le  babouin  de  Gascogne,  est  élu, 
Et  Millevoye,  et  Déroulède  qui  n'a  lu, 
Tant  son  àme  est  par  le  chauvinisme  rouiliée, 
Ni  Schopenhauër,  ni  les  bouquins  de  Fouillée! 

Ainsi  Barrés,  dont  le  suffrage  universel 
Goûte  modérément  le  dandyme  et  le  ;  el. 
Récrimine.  Un  mégot  à  parfum  de  lessive, 
Un  Soutados  puant  lui  gratte  la  gencive. 
Il  prodigue  aux  cochers  de  fiacre  les  saints 

Et  l'épicier  du  coin  ne  le  reconnaît  plus  ! 


4^ 


60  A  TRAVERS  LES  OROUfNS 


BALLADE 


PUIR   EXALTER   LES    DOYENNES   DU   PERSIL 


.  Viennent  les  marguillicrs  jierrerx. 

IjCs  bedeaux  porteurs  <ie  caiilcres. 

Les  givs  messieurs  chargés  d'Iiiver'i .' 

Je  couronnerai  d'œnotlicres, 
1  Itc  lilas  et  de  myrihes  verts 

Toute  la  chambre  des  notaires .'  § 
h.  T. 


>ifÀy2Kiii3  ma  nielles  où  nos  bisaïeux  se  sont  plu 
-LK^I  lialloUcnt,  à  présent,  de  manière  fantasque. 
I.c  liriiiu-  roui;o  sur  leurs  crânes  vermoulus, 
Leurs  crânes  pareils  à  des  ris  de  veau  boullus, 
luipriuie  tels  nia^inias  qu'où  ne  rincera  plus. 


61 


Leurs  museaux  d'ichueumon,  de  pieuvre,  de  larasque 

Bàilleul  :  ainsi  le  Irou  punais  de  l'Actiéron. 

Voici  les  dents  d'émail  sur  le  chichoL  marron! 

El  les  robes  couleur  d'enfanls,  rose  ou  cilroa  : 

Car  ces  dames,  ayant  braguettes  soulagées, 

De  fastueux  chichis  pavoisent  leur  giron  : 

Loj  aux  vieilles  putains  d'ans  et  d'honneurs  chargées! 


En  laveur  des  meschins  pauvres  et  résolus, 

Leur  générosité  vénérienne  casque. 

Ignorant,  comme  il  sied,  Malle-Brun  ou  Reclus, 

Le  muletier  avec  force  auvergnats  poilus 

Affronte  de  grand  cœur  ces  palus  el  ces  glus 

Fétides,  nonobstant  les  huiles  bergamasques. 

, Est-il  bardeau,  mulet,  viédaze,  aliboron, 

Pour  oser  en  tel  lieu  risquer  un  paturon  ?) 

Elles  défaillent  avec  les  cris  de  Baron 

Au  seul  aspect  des  gcnitoircs  insurgées, 

Et  monsieur  Deschancl  à  les  servir  est  prompt  : 

Los  aux  vieilles  putains  d'ans  el  d'honneurs  chargées  ! 


62  A  TRAVERS   LES  CROIINS 

Clamons  :  «  lopieanJ  »  En  des  bouquins  peu  luj, 

Carmen  Sylva,  la  Ratazzi  qui  semble  un  masque 

Japonais  et  l'antique  Mab  ans  seins  velus 

Des  petits  jeunes  gens  quémandent  les  saints. 

—  0,  sous  vos  cheveux  bruns,  Lafayettc  et  Caylus  !  - 

Sans  parvenir  jamais  à  la  dernière  frasque, 

Elles  bouillonnent,  tel  un  magique  chaudron, 

Cependant  qu'imbibé  de  fards  et  de  goudron, 

Loti,  cagneux  mais  beau,  darde  son  éperon 

Pour  l'ébaltemenl  des  vétustés  Lalagécs 

Et  présente  frère  Yve  à  leur  décaméron. 

Los  aux  vieilles  putains  d'ans  et  d'honneurs  chargées 


L'arbre  caduc,  jetez  les  rameaux  et  le  tronc  ! 

Prince,  beau  tourmenteur,  Ezzelin  ou  Néron, 

Coiiïc  ton  casque  d'or,  atteste  le  héron 

Et  (]ue,  grand'nières  par  tes  ordres  fustigées. 

Elles  payent  enfin  leur  obole  à  Caron, 

Ces  antiques  putains  d'ans  et  d'honneurs  chargée 


CHANT    ROYAL 


63 


CHANT   ROYAL  DE   LA   MANSUETUDE 
ECCLÉSIASTIQUE 

Ecclesia  abhorret  a  saitqiihie  — 


^>VA/*<FiN  que  mieux  soit  sa  bonté  connue, 
^^^^  Je  veux,  Seigneur,  sur  un  rythme  ancien, 
Chanter  l'Épouse,  à  ton  cœur,  bien  venue 
Que,  pour  le  carme  et  le  sulpicien, 
Nabi  Schlêmô,  paillard  magicien 
Prophétisa  dans  les  points  et  cédille 
De  son  Cantique.  Elle  est  douce,  godille 
Comme  un  beau  lys  par  l'aube  caressé  ; 
Onque  le  sang  ne  rougit  sa  mandillc  : 
La  Sainte  Eglise  abhorre  au  sang  vcrjc. 


6V  A    TRAVERS  LES  GROCINS 

Pourtant  il  sied  que  Ferveur  mainlcouc 

Avec  l'athée  ou  le  pyrhonnien 

De  Belzébuth,  emplisse  la  cornue. 

Epoussctons  juif  et  luthérien  ; 

Que  l'indévot  paie  et  ne  ^'arde  rien  1 

C'est  pour  très  cher  qu'on  pend,  (|u'on  e.isorillr, 

Que  le  troupeau  sustente  qui  l'étrille. 

Nous  n'avons  pas  renié  le  passé. 

Vois!  Dans  Montjuicli,  dans  Cuba,  dans  Manille 

La  Sainte  Eglise  abhorre  au  sang  versé. 

Père  Didon,  ta  voix  fra])pe  la  nue 
El  Rochefort  te  vante  à  Possien  : 
L'autudafé  par  vos  soins   continue. 
Ténor  pieux,  cher  au  béotien, 
-Meyrr  l'approuve  et  Jamonl  le  fait  sien. 
Pour  toi,  Guérin  frapi)C,  Thiébaud  nasille 
A  nous,  soldats!  tpi'on  brûle,  qu'on  fusille 
Tout  scélérat,  suspect  d'avoir  pensé, 
(Jue  dans  l'ivraie,  on  plante  une  faucille  ! 
La  Sainte  Eglise  abhorre  au  sang  versé. 


CHANT    ROYAL  65 

Aux  bois  d'Arcueil  où  Science  csl  menue 
Fleurit  le  sport  peu  cicéronien. 
En  caleçon  et  la  poitrine  nue, 
Les  jeunes  veaux  ignorants,  ô  combien! 
S'exercent  en  un  match  quotidien. 
Sous  les  maillots  brodés  de  canetillc, 
Un  fo'jt-lialler  catholique  émoustille. 
Quelque  bedeau  prompt  à  faire  da  se. 
Au  Racing-Club,  l'enfant  de  chœur  titille. 
La  Sainte-Eglise  abhorre  au  sang  versé. 

Ainsi  grandit  l'engeance  biscornue  I 
Bourgeois  cafard,  gâteux  patricien, 
En  baladin  le  monstre  s'atténue 
Et  Dominique  au  rhétoricien 
Apprend  le  saut  de  carpe  ou  le  maintien. 
Torquemada  sourit  dans  sa  golille 
Quand,  écuyer  de  chevaux  ou  de  ûlles. 
Son  alumnus  convomit  l'ressensé. 
Quand  sur  Zola  Cassagnac  dégobille  : 
La  Sainte-Eglise  abhorre  au  sang  versé. 


C6  A  TRAVEBS  LES    GRODINS 


Tourne  les  yeux  vers  Alger  où  l'on  pille. 
DRU.MONT,  (iiacal  mâliné  de  s,'orille  ! 
Ton  chapeau  bleu  rayonne  au  quai  d'Ursay, 
Bon  conslriicleur  des  Ham  et  des  Bastilles, 
Cuistre  sanglant  plus  bète  que  Sarcey, 
Dos  el  convicls  le  sont  une  famille  : 
La  Sainte-Eglise  abhorre  au  sang  versé. 


ODELETTE 


{A  In  manière  de  Ronsorcl). 


nocoLATiEn,  faussaires, 
Du  Gaulois  émissaires, 
Et  ce  gredin  choisi, 
Eslerhazy; 

Les  tantes,  les  crapules, 
Evcques  sans  scrupules, 
Artons  déshonorés 
Et  les  curés  : 


C8  A  TRAVERS  LES  OROUINS 

El  les  bonnes  sœurs  grises 
Distillant  pour  les  brises, 
Au  fond  de  leurs  clapiers, 
L'odeur  des  pieds  ; 

Les  magistrats  intègres. 
Les  cocottes,  les  nègres, 
Les  daims,  les  maquereaux 
Et  les  bistros  ; 


C'est  ainsi  qu'on  recrute 
Voleur,  escarpe,  brûle, 
Uu  personnel  classé 
Au  quai  d'Orsay. 


Ainsi  qu'une  relique, 
Mcyer,  juif  catholique, 
Arbore  avec  bonheur 
La  cioix  d'honneur. 


69 


Alfred  Duquel,  Mézières, 
Loti,  fleur  des  rizières, 
Et  les  divers  Quesnays 
En  sont  ornés. 


Major  de  table  d'hotc 
Cassagnac  ne  fait  faute 
D'avoir  cet  oripeau 
Dessus  sa  peau. 


Elle  orne  tes  fumistes, 
Wilson,  les  panamistes 
Et  Gaston  Jolivet, 
Ce  pur  navet. 

Ils  sont  hideux  et  bêtes, 
Us  portent  sur  leurs  tètes 
L'air  brutal  ou  sournois 
Propre  aux  bourgeois. 


70  A  TRAVERS  LES  GROCINS 

Ils  lèchent  les  derrières, 
Les  pattes  meurtrières, 
Les  sabres  dégainés 
Des  galonnés. 


Tous,  ruisselant  d'extases, 
Bénissent  les  ukases, 
Le  drapeau  tricolor, 
L'Elat-Major. 


Et  c'est  vraiment  justice 
Que  ce  monde  obrepticc 
El  tous  ces  bougres-là 
Chassent  Zola. 


12  avril  189S 


v\T<;. 


QLATORZAIN    D  U[VER 


QUATORZAIN  D'HIVER 


A  LA  LOUANGE  DE  CLAUDIC-VIOR  LE  BENEVOLE 


2sOli'0  subtil  et  brillant  ccricain  a  réprouv:... 

DN  BEPORTEH  DE  la  Patrie. 
La  paix  est  ton  but.  ù  Pacifique  ! 

E.  RENAN,  Invocation  sur  l'.icropolc. 


AMEAU  chantait  :  Je  ne  suis  pas  joli,  joli  ; 
■■  '   Rivarol  a  trouvé  chez  moi  son  antipode. 
Ignorant  tout  français,  je  beugle  mes  épodcs, 
Avec  le  geste  d'un  qui  fait  pipi  au  lit. 


Les  plumassicres  dont  j'illustre  les  soirées 
Baillent  quelques  éeus  pour  m'entendrc.  Et  voilà 
Qu'avec  Dreyfus,  avec  Scheurer,  avec  Zola, 
Un  marasme  soudain  alanguit  mes  rentrées. 


72 


A  TICAVEnS  LES  GROCINS 


Le  commerce  cjI  dan;  le  marasme  I  ce  qui  fait 
Que  j'ai,  ce  soir,  lavé  la  tête  cl  dit  leur  fait 
Aux  gazelicis  que  Millevoye  excommunie. 


Destin,  sauve  la  France  et  garde  ses  quibus 

Au  poète  cagneux  qui  grimpe  en  omnihus 

Et  «  va-t-cu  ville  »  pour  gasconncr  son  génie  ! 


MELANCOLIE    ODEONESQUE  73 


MELANCOLIE  ODEONESOUE 


if^^2ou3  rOdcon  blafard  que  décorent  les  proses 
«^k^r?  D'Haraucourl,  elSliakespeare,  en  vers  tripatouilles, 
Comme  un  «  bougna  »  pensif,  entre  de  vieux  «  souyés  », 
L'Auverpin  ne  veut  plus  qu'on  effeuille  des  roses. 


Les  poètes,  même  Paul  Fort,  sont  renvoyés  ; 
.Iran  Lorrain  dont  la  ménaupause  a  des  chloroses 
El  Vicaire  cousu  de  longues  hydrartroses, 
Les  Montforts,  les  Leblonds  avec  les  Bouhéliers. 


74  A  IRAVERS   LES  GROCINS 

Nul  ne  chantera  plus  une  ode  triomphale  ! 
Pégase  inemployé,  Chimère  ou  Bucephale 
Rongent  leur  frein  dans  ton  établc,  6  Ginisty  I 


Verse-nous  maintenant  l'ivresse  I  Et,  dans  l'cntr'acle. 
Ne  manque  pas  d'offrir  à  la  foule  compacte. 
Pour  deux  sous,  les  marrons  chers  à  Pierre  Loti. 


(DO 


CANDIDATS  A  L  ntMOniALITE 


CANDIDATS  A  L'IMMORTALITE 


\  UAND  au  poète  Dierx  incombe  ce  bonheur, 
Bien  des  forls  sont  tombés  dans  l'arène  tragique  : 
Ils  ne  t'ont  point  élu,  barde  pédagogique, 
Sully-Prudhomme,  honneur  des  Légion  d'honneur  ; 


Ni  Coppée  —  un  François  d'Assise  tricolore  — 

Ni  le  comte  Robert,  ni  ma  tante  Lorrain, 

Ni  Jean  Rameau  qu'on  exhibe  pour  un  florin. 

Après  ces  chefs,  d'autres,  moins  grands,  restent  encore. 


76  A  THAVKR»  LES  GROCISS 

Plus  négrc  que  ce  freux  où  vit  le  preux  Arlhus, 
Moréas  qui,  le  soir,  au  compte-goutte,  urine, 
Fait  couver  par  Maurras  d'innommables  fœtus. 


Mais  le  Pierre  Puget  du  suif,  des  margarines, 
Jean  Richepin  donna  l'être  à  Jehan  Rictus 
Qui  peint  son  âme  d'or  sur  le  mur  des  latrines. 


*** 


Or  ces  guerriers  ayant  pousse  le  cri  d'alarme 
El  déterre  la  hache  au  seuil  de  leur  gourbi, 
Elèves  de  Barrés  et  poteaux  de  Bibi 
La  Purée,  en  tous  lieux  dégobillont  leurs  carmes. 


Les  symbolistes,  les  simplistes,  les  romans. 
Ceux  qui  riment,  à  soixante  ans,  leurs  pucelages 
El  ceux  dont  les  neurasthéniques  mucilages 
Pour  Monsieur  de  Vogue  sont  emplis  d'agrément  ; 


CANDIDATS    A   L  IMMORTALITE 


Fiémine  plus  hideux  que  les  têtes  de  l'Hydre, 
Et  Vicaire  pochard  comme  une  pomme  à  cidre. 
Et  ceux  qui  font  des  vers  pour  les  cafés  de  nuit  : 


Tous  veulent  sur  leur  front  le  diadème  esthète, 
Ces  palmes  dont  la  fleui'  amétbyte  leur  duit, 
Et  l'orgueil  des  festins  à  douze  francs  par  tête. 


4* 


A   TKAVEKS  LES  GKÛllNS 


l'P.IX  DE  VERTU 


f^{^)  AQUiLLÉ,  solrnacl,  disert  cl  peu  joli, 
^^L^a   '-e  liérc  de  frère  Yve,  entre  les  vieilles  dames 
Pérore.  Il  a  des   solécismes  tout  pleins  d'âme 
Et,  de  le  voir  si  vert,  le  Beau  Frère  a  pâli. 


Feu  Monthyon,  parrain  d'une  fâcheuse  rue. 
Inspire  ses  discours  où  de  beaux  mouvements 
EniTuirlandenl,  tels  que  du  persil,  les  tlionnns 
Dont  la  vertu  est,  en  ^'rand  pompe,  secourue. 


PRIX     DK     VERTL' 


Et  00  sont  des  larbins  inlcgres,  des  troupiers, 
Oui  reniporlcnl  la  gloire  avec  l'argent  modique, 
Puis  un  frère  convers,  sentant  mauvais  des  pieds. 


Mais  l'orateur  parcourt  son  thème  fatidique, 
Rh\  thmé  par  l'évonlail  au  murmure  berceur; 
Car,  le  trouvant  lardé,  comme  elles,  et  pudique, 


Loi;  vierges  de  Prévost  disent  :  «  C'est  une  sœur  !  » 


80  A  TRAVERS  LES  GK0C1>S 


RO.NDKL 


Éryv^ANS  les  cafés  d'ailolescenls 
Câ^^,      Moréas  cause  avec  Frémine  : 
Luii,  d'un  parruit  cuistre  a  la  mine, 
L'autre  beugle  des  contre-sens. 


Hicn  ne  sort  moins  de  chezClassens 
Que  le  linge  de  ces  bramines. 
Dans  les  cafés  d'adolescents,  . 
Moréas  cause  avec  Fréinine. 


Désagrégeant  son  albumine, 
La  Tailhède  offre  quelque  encens  : 
Maurras  leur  invente  Commine 
El  ça  fait  roter  les  passants, 
iJans  les  cafés  d'aiiolescents. 


81 


82  A   TRAVERS  LES  CnuiriNS 


CONSCRITS 

(A  la  manière  (t'Esparbèi, 


iGLE  lie  Boustrapa,  voici  ton  jour  !  Les  Ciars. 
Ceux  de  la  Haute  avec  ceux  de  l'Epicerie, 
Se  gondolent  vers  la  loterie,  ô  Patrie, 
Sous  l'œil  des  niarcbichers  et  des  maires  gagas. 


Ils  arrivent  du  rlaque  ou  bien  des  séminaires, 
Fils  de  cocottes  chez  les  Ûblats  cduqués. 
Courtauds  de  magasins,  lopcttcs  dont  Ici  quaii 
Un*,  vu  le.>  jeux,  parmi  leurs  doutes  urinaires. 


CONSCRITS  83 

L'âme  Irançaise  cl)  aille  (ô  que  faux!)  dans  leurs  voix  ; 

ils  s'arrèlent  pour  dégurgiler  du  pivois, 

Tel  un  cabot  perdu  que  l'on  mène  en  fourrière. 


La  Victoire,  aujourd'hui,  leur  montre  le  chemin 
El  des  boxons  épars  leur  ouvre  la  barrière. 
Vivat  1  Le  copahu  renchérira  demain. 


81  A  TRAVERS  LES    GROIINS 


1-UlRi:  AUX  JAMBONS 


(Intimité) 


^l\f/t)  A  mignonne,  voici  l'avril  1  l'n  air  plus  doux 
&^\^4  Uù  flolle  l'âme  populaire  du  saindoux 
El  (les  frites,  ce  soir,  invile  aux  indécences 
Les  troubados  sorlis  avec  leurs  connaissance;. 
Les  boutiquiers  ventrus,  aux  blairs  de  tamanoir. 
En  famille,  ont  empli  le  boulevard  Lenoir. 
Ils  ga^'nent,  essoufflés,  la  barrière  du  Tronc 
Et  les  lutteurs  forains  sont  tous  en  maillot  jaune! 


FOlilE    AUX    JAMRO.NS  83 

Viens  I  nous  allons  humei'  dos  glaces  à  deux  sous, 

Dédaignant  le  concert  arabe,  où  les  dessous 

Précaires  des  oulels-nails  sentent  le  rance. 

—  Comme  il  est  pur  le  ciel  do  notre  belle  France  t 

Vinns  I  nous  irons  tous  deux,  fidèles  au  drapeau. 

Complimenter  1'  <  homme  de  bronze»  dont  la  peau 

Fait  voir  l'airain  si  cher  à  Monsieur  Déroulède. 

Le  sabre,  le  fusil,  la  dague  de  Tolède 

Figurent,  à  son  poing  aimé  des  caporaux, 

Les  croûtes  do  Neuville  et  celles  de  Morot. 

Nous  prendrons  notre  part  de  ces  plaisirs  austères 

(Trois  sols  pour  les  pékins,  deux  pour  les  militaires) 

El  notre  cœur  où  Jeanne  d'Arc  revit  encor 

.Magnifiera  Boisdell're  avec  l'Etal-Major. 


Nous  déambulerons  parmi  les  odeurs  grasses, 
—  Tes  bottines  à  huit  francs  cinquante,  un  peu  lasses  — 
Jusqu'à  l'heure  oi,  la  main  dans  la  main,  et  suçant 
Les  berlingots,  dont  le  parfum  est  innocent, 


86  A    TRAVERS  LE5   GROCIKS 

Nous  gagnerons,  vers  la  place  de  la  Bastille, 
Les  tirs  aux  macarons,  luisants  de  canetillc 
Et  l'échoppe  où  l'ou  voit,  telle  que  nos  guerriers, 

Une  hure  de  porc  ceinte  de  verts  lauriers. 


?^^ 


VtNDREDI-SAINT  ^7 


VENDREDI  SAINT 


fr?J>'  Rop  de  merluche  el  des  lentilles  copieuses 
l^   —  Seule  réfection  tolérce  aux  croyants  - 
Enjolivent  de  certains  rots  édifiants 
La  constipation  des  personnes  pieuses. 


Dans  l'omnibus  —  aucunement  blasphématoire  — 
-Montent  force  nonnains,  coiffes  et  canezou  : 
Et  c'est  un  air  de  deuil  en  les  boutiques  où 
Sourit  la  poire  du  Bienheureux  Pcyreboire. 


8S  A  TnAVF.ns  les  cnoriNS 

Quelques  petits  enfants  —  dirai-je  maslurbés  ?  — 
Vers  Saint-Siilpicc,  cl  leurs  maîtres,  larges  abbés, 
Du  gogucnot  prochain  cjouisscnt  la  vue  : 

Et,  près  d'eux,  obstruant  le  degré  colossal. 

Un  hommc-alTichc  avec  celte  annonce  imprévue  : 

<'  Concert  tpiiitwl  à  Tivoli  Vniix-IJall.  » 


^ 

^ 


I 

i 


LE    PETIT  EPICIER  FAIT  SES  PAQUBS  S? 


LE  «  PETIT  EPICIER  »  PWIT  SES 
PAQUES 


;  E3  ostensoirs,  les  Sacres-Cœurs  aux  airs  dcvols, 
Les  cloches  et  tout  le  fourbi  des  cathédrales 
Inspirent  à  mon  cœur  des  sentiments  nouveaux 
Qui  consolent  mes  défaillances  urélhrales. 


Iles  vicaires  qui  n'ont  jamais  rien  invente 
M'instruisirent  sur  les  douleurs  du  Purgatoire. 
La  foi  des  humbles,  la  savate  humilité, 
Angélisent  mon  rein,  que  trop  supinatoire  ! 


'.0  A   TIIAVERS    LES  GROllNS 

Et  c'est  pourquoi  je  vais,  dans  le  petit  local, 
tngurgllcr  tout  mon  bon  Dieu,  le  Fils,  le  Porc, 
Kt  l'Eipiit,  qui  souvent,  chez  Xau,  se  fait  la  paire. 


Comme  Jonas,  évacué  par  son  rorqual. 
Je  bafouille  pour  la  clientèle  abrutie  : 
Ma  fistule  au  «  petit  Jésus  »  sert  de  régal. 

Et  tous  mes  foudemeuts  sont  pleins  d'Eucharistie. 


IDYLLE    SrBCRBAINE  91 


IDYLLE  SUBURBAINE 


A  Emile  Métrot. 


^"^^  oici  les  bicyclisles, 


Ainsi  que  des  ballisles 
Leurs  machines  langant 
Sur  le  passant. 


Voici  les  dégrafées 
Hideusement  coiffées, 
Telles  qu'un  hanneton, 
Dans  leur  veston. 


A  TRiVERS  LES  CROCISS 

Comme  no  porc  que  l'on  châtre. 
Le  calicot  folâtre 
Hurle,  par  les  faubour^-s. 
Maints  calemboars. 


Voici  Joseph  Pnidhommc, 
Qai  loin,  loin  de  Sodome, 
Sans  mail-roai-h  de  Bindcr, 
Prend  un  bain  d'air  ! 


Pans  le  bois  de  Viii'-ennes. 
Les  magistrats  obscènes 
Viennent  se  trimbaler 
Et  pédaler. 


Ça  refait  leur  échine 
De  rouler  à  machine. 
Libidineux  cl  gras, 
Sur  le  ray-grass. 


IDYLLE    SDBURBAINE  93 

Et  les  dames  faciles 
Ricanent,  imbéciles, 
De  pister,  à  vélo, 
Maint  gigolo. 


Tout  le  bois  en  fourmille. 
Puis,  ce  sont  des  familles 
Complètes  i'oiwerriers 
Inébriés. 


Ils  apportent  salade, 
Gruyère,  marmelade. 
Veau,  laitue  et  pourpier, 
Dans  du  papier. 


Une  âme  de  friture 
Egayé  la  nature. 
Qu'emplit  ta  grande  voix, 
Clicvaudebois  1 


94  A  TBAVF.RS  LES  GROCINS 

Uuclque  parfum  agreste, 
La  sueur  et  le  reste, 
Diversifie  au  loin 
L'odeur  du  loio. 


La  poussière  aasaisonne 
Les  macarons.  Foisonne 
La  mouche  des  cacas. 
Sur  le  lilas. 


Plaisir  combien  champêtre  ! 
Et  qui  ne  voudrait  paitre 
Ces  repas  digestifs, 
Sur  les  forliffs  ! 


L'Himalaya  dé^'oùle 
Les  humbles.  Somme  toute, 
Tu  \aii\  mieux  que  lu  Nil, 
Lac  Dauuiénil. 


IDYLLE  SUBUnnAINE  95 

Car  le  tramway  du  Louvre 
Peut,  quand  le  temps  se  couvre, 
Y  mener  les  bourgeois, 
A  travers  bois . 


0  douceur  efficace  I 
Lamper  un  melécasse 
Et  le  biller  plus  dur, 
Devant  l'azur  ! 


Ainsi  triomphe  l'oidie  ! 
Xul  n'a  besoin  de  mordre, 
Ayant  usé  ses  bas, 
En  tels  ébats. 


El,  toute  la  semaine. 
Les  cyclistes  que  mène 
Un  rude  et  tatillon 
Chel'  de  rayon  : 


96  A  TRAVEKS  LES  GROIINS 

Les  employés  moroses, 
Ayant  humé  les  roses 
Et  longtemps  baladé 
Par  Sainl-Mandé, 

Acceptent  ergastales, 
•■  Camouflets  et  sportules 

El  les  repus  grugeant 
Leur  pauvre  argent. 

C'est  pourquoi  leurs  équipes 
T'émeuvcDl  jusqu'aux  tripes 
Coppéc,  6  sacristain 
Si  peu  hautain  ! 


^ 


CHEMIN  d'eglogce  97 


CHEMLN  D'EGLOGUE 


Fers  lo  train  allongeant  ses  «  ùilels»  sur  la  voie, 
L'essaim  hilare  des  calicots  s'est  rue. 
Dans  les  compartiments  où  des  gens  ont  sué 
Il  s'installe,  joyeux  d'une  cmétiquc  joie. 


En  face  de  la  grue  énorme  dont  le  buse 
Malaisément  contient  une  gorge  bovine, 
Les  bouquins  de  Drumont  édites  par  Savinc 
Délectent  un  bourgeois  qui  ne  sent  pas  le  musc. 


as  A  TRAVKRS  LES  G^lOt'I^tS 

Cela  (Icurc  l'odoiir  da  picdii,  la  caqiiesangue 
Des  cnfanrons  cl  le  mcgol,  qui,  sur  la  langue, 
Vous  fait  passer  comme  un  renvoi  de  Krysinska  : 

Et,  plus  loin,  les  époux  Duvcdran  qu'accompasnc 
Lc;ir  liérilicr,  couleur  de  morve  el  de  caca, 
Soignent  le  melon  qu'ils  portent  à  la  campagne. 


c^ 


TROISIEME    SEXE  99 


TROISIEME  SEXE 


(5';J  N  vestons  gris,  en  chapeaux  mous,  par  les  quinctinccs, 
^ji    Avec  des  mouvemenls  câlins  et  paresseux, 
Rôdent  les  icoglans  parisiaques,  ceux, 
0  Prudlioimnc,  qu'au  feu  céleste  lu  dénonces. 


Ll'3  tantes  I  peuple  hilare  cl  nocturne  pour  qui, 
'foui  sergent  de  ville  est  un  oncle  débonnaire, 
Près  des  Ambasaadews  où  chahute  Bonnaire, 
Où  lesgomnieux  hoivcnl  de  l'aie  et  du  raki. 


univers/]^ 

BfSLIOTHECA 
Ohavie*3»a 


IDO  A  TRAVERS  LES  GROtINS 

Dans  les  leniplcs  indous  que  tapisse  la  cure 
Infaillible  de  tous  les  bobos,  sans  mercure. 
Us  lèvent  les  banquiers  en  rut,  impudemment  I 


Et  le  poète  Jean  Lorrain  de  Normandie, 
Accordant  pour  leur  los  sa  syntaxe  hardie. 
Les  célèbre  en  vers  faux,  —  avec  clonneiuent. 


FETE    NATIONALE  lOl 


FETE  NATIONALE 

(Intimité). 
A  Le  Pic 

[E  quatorze  Juillet  et  ses  chevaux  de  bois, 
Ses  guinches,  où  les  bons  zigues,  saouls  de  pivois, 
Etieignent,  pour  l'en-avant-deux,  leurs  maritornes, 
Tandis  que  les  cocus  vont  aérant  leurs  cornes, 
Me  charment.  J'ai  revu,  place  du  Panthéon, 
Le  doux  vieillard  qui  jouait  de  l'accordéon 
Dans  la  rue  Oudinot,  presque  sous  mes  fenêtres, 
A  l'heure  où  la  splendeur  de  Félisque,  et  ses  guêtres 
Se  dérobaient  parmi  les  mégissicrs  obscurs. 
Car  j'ai  toujours  aimé  les  humbles  aux  cœurs  purs. 


102  A  TUAVKUS  LES  f.RoLlNS 

Aux  pieds  douteux  corame  un  vers  de  Pour  ta  Couronne, 

Car  je  suis  le  passant  bénin,  que  n'environne 

Aucun  rayon,  aucun  éclair,  aucun  soleil. 

Mes  articles  me  font  aux  concierges  pareil. 

Aussi,  dès  que  revient  la  date  fatidique 

Où  la  junte  des  mannezingues  se  syndique 

Pour  imbiber  de  furfurol  le  populo. 

Je  hisse  à  mon  balcon,  —  ainsi  qu'au  bord  de  l'eau 

Quelque  Irciiible  où  le  soir  ému  se  décolore. 


Un  étendard  fait  de  flanelle  tricolore 


ï 


B\LL  VUt   li  .llILLET  103 


BALLADE  14  JUILLET 


'jOrtJïi-AiBONS,  trompeltes  et  hautbois, 

^~^  •  Chant  du  dépait  »  et  «  Marseillaise  : 
Beuglent  sur  le  pavé  Je  bois. 
Les  rousses-cagnes,  dans  leur  fraise, 
S'en  vont  au  pourchas  de  la  braise 
Près  du  quai  Michel,  ce  Lido; 
Voici  le  lendemain  du  treize  : 
Ça  se  fête  iJeyutulamlo. 


104  A   TRAVERS  LES  OROCINS 


Joseph  Prudhomme  et  Pipenbois, 
Les  genlloraen  de  la  Corrcze, 
Ceux  du  Perche  el  ceux  de  l'Artois 
EructCDl  mainte  catachrèse 
(Au  veau  l'on  reconnail  la  fraise  !) 
Le  roussin  avec  le  bedeau 
Se  coavomissent  à  leur  aise  : 
Ça  se  fête  deguevlamlo. 


Mais,  où  donc  est  la  fleur  des  pois? 
Montesquiou,  Péladan,  Barrés-e, 
Les  Bourget  el  les  Diculafoy 
Sollicitant  la  diurèse? 
Les  ceuss  qui  viennent  de  Manrése, 
Bloy  vociférant  son  credo 
El  frère  Yves  en  Navarraise  ? 
Ça  se  fête  degueulando- 


BALLADE  14  JUILLET  lOo 


Prince,  qu'éleva  dans  Sorrèze 
Un  moine  à  tripes  de  vedeau, 
Plus  n'est  besoin  de  rime  en  «  rose 
Notre  joie  est  combien  frrrançaise  1 
Ça  se  fête  degueulando. 


f# 


UN   SOUPER 

CHEZ 

SIMON  LE   PHARISIEN 

(Coule  de  Noël). 


UN   SOUPER 
CHEZ  SIMON  LE  PHARISIEN 

(conte  de  noel) 

A  Charles  rignier. 

y/^^\/n,  ce  soir-là,  ncuvicmc  du  mois  do  Tebeth,  Si- 
^kI.DQ  mon  le  Pharisien  régalait  quelques  amis  dans 
sa  villa  des  Sycomores.  L'assistance  était  nombreuse, 
choisie  et  respectable,  composée  d'hommes  riches  et  de 
iirnmes  à  qui  la  durée  du  putanat  rechampissait  une  vir- 
ginité. La  maison  du  Pharisien  comptait,  à  bon  droit, 
parmi  les  merveilles  de  Jérusalem.  Des  chevaux  de  race 
et  des  valets  sans  nombre  en  faisaient  une  demeure  cossue, 
majestueuse  et  adéquate  comme  il  sied  à  un  notable  com- 
merçant. L'usure,  le  proxénétisme,  l'attachement  aux 
dogmes  religieux  immatriculaient  Simon  entre  les  plus 


1  10  A  TRAVERS  LES  GROCINfl 

ilijrncs  bourgrois  Ses  opinions  prépondcraienl  devant  1o 
Sanhédrin.  Les  vierges  impubères  n'avaient  rien  que  i\f 
favorable  à  ses  désirs.  Il  recevait  les  pens  de  Bourse,  Ir; 
marchands  du  Désert,  les  trafiquants  nomades.  Pour  les 
divertir,  il  amenait  à  grands  frais  des  Oulels-Nails  de  la 
Cyrénaique,  des  montreurs  de  singes  et  des  ténors.  Il 
louait  parfois  des  académiciens,  afin  d'essuyer  ses  ba- 
bouches dans  leur  creux  poplité.  L'on  rencontrait  chez 
lui  SuUy-Prudhomme,  fils  de  Joseph,  qui,  sourd,  timide 
et  vierge  irréductiblement,  portait  en  plein  visage,  sons 
forme  d'eczéma,  sa  croix  de  commandeur.  Pierre  Loti, 
dans  ses  voiles  do  bayadère,  y  fréquentait,  s'oublianl, 
parmi  les  antichambres  à  causer  de  trop  prés  avec  les 
larbins  noirs.  Jean  Lorrain  y  crachotait,  en  suceuse 
experte  des  médisances  bordeiiéres,  de  quoi  les  vieilles 
dames  se  pâmaient. 

Doncqucs,  pour  fêter  le  solstice  d'hiver  et  l'aube  du 
grand  jour  annuel,  on  buvait  ferme  chez  Simon.  La  salle 
du  festin  éclatait  de  joyaux,  d'orfèvreries,  de  lumières  et 
de  vins.  Sur  une  haute  estrade,  vêtus  de  costumes  bario- 
lés, incommodes  et  somptueux,  des  musiciens  bari)ares 
concertaient  doucement.  Les  sambuques,  les  violes  d'à- 


UN  SOUPER  CHEZ  SIMON  111 

mour  et  les  cymbales  qui,  jadis,  éteignirent  la  voix  d'Or- 
phée, accordaient  leurs  soupirs  aux  flûtes  adoniques.  Sur 
les  crédences  mouraient  de  sombres  fleurs,  et,  des  buires 
violettes,  les  narcisses,  les  anémones  tombaient  en  péta- 
les odorants.  Plus  bas,  sur  les  tables  aux  nappes  de  bys- 
sus  et  d'amiante,  les  fruits,  les  victuailles  s'entassaient  : 
grenades  voluptueuses,  dattes  couleur  de  miel  et  raisins 
d'Engaddi.  Les  quartiers  de  chevreaux  flanqués  de  laitues 
vertes,  les  pains  azymes,  les  gâteaux  saupoudrés  de  sésa- 
me et  les  fromages,  sur  un  lit  de  cumin  ou  de  fenouil.  Des 
esclaves  aux  cheveux  nattés  offraient,  de  leurs  mains 
adolescentes,  les  breuvages  illusoires,  versaient  de  haut, 
en  un  jet  mince,  et  le  vin  de  Chiraz  et  les  muscats  plus 
lourds  qu'aux  saisons  vendémiaires,  apporte  de  Syrie 
l'âne  robuste  et  gai. 

C'était  l'heure  où,  parmi  les  odeurs  chaudes,  le  fumet 
des  viandes  et  l'exhalaison  des  membres  en  sueur,  une 
ivresse  grandit  qui  fait  les  cœurs  joyeux  et  la  lèvre  con- 
fiante. Les  convives  parlaient  tous,  d'une  voix  aiguë  et 
convulsive,  aux  accords  de  la  symphonie  lointaine. 

Prés  du  Maitre,  les  Dignitaires  s'étageaient,  couverts 
de  rubans,  de  crachats  et  de  plaques  honorifiques,  cha- 


112  A   TRAVERS  LRS  GBOUINS 

marrés  d'emblèmes  ridicules.  C'étaient  les  virtuoses  du 
faux,  les  professionnels  de  l'homicide,  les  surhumaioj 
du  crélinisme. 

Teintes  de  fard,  d'autimoine  et  de  céruse,  avec  force 
chignons  couleur  de  safran  ou  de  henné,  les  vieilles  pa- 
triotes contrepointaient  leurs  gorges  blettes  de  lumineuses 
pierreries.  Bob  de  Capharnaùm  et  Lucie  de  Belhsaide, 
la  fille  du  Tanneur,  et  les  saintes  femmes  du  Bal  dos  Va- 
ches montraient,  jusques  à  la  ceinture,  le  faisandé  de 
leurs  appa.»:.  Mais,  sous  un  dais  de  pourpre  et  domi- 
nant l'assemblée,  une  feuime  vêtue  de  noir  causait  avec 
.\rthur  Meyer,  patricien  de  Venise.  Chacun  saluait  on 
elle,  avec  un  respect  assaisonné  d'admiration,  la  veuve  du 
martyr,  l'héroïne  des  cent  mille  francs,  la  Colonelle  Henry. 

Drumont,  sous  la  robe  verte  cl  jaune  dont  Vérouése 
peignit  la  brocatelle;  François  Coppée,  en  velours  de 
Gènes  (tramé  coton)  ;  Déroulède  en  fustanelle  tricolore, 
et  Barrés  avec  de  véritables  fausses  dents  se  groupaient, 
faisaient  apothéose,  cependant  que  Judet  Iscariote  arbo- 
rait, non  sans  quelque  emphase,  son  costume  d'cgoulier. 

«  Moi,  disait  Coppée,  je  suivis,  tout  enfant,  le  régi- 
ment qui  passe.   Ma  jeunesse  verdoya  d'amours  ancil- 


l'N  SOUPER  CHEZ  SIMON  113 

laiies,  tout  comme  un  pot  de  basilic.  Sans  effort  préalable, 
je  devins  bête  à  manger  du  loin.  Le  basilic  est  mort,  le 
loin  est  desséché,  la  (leur  de  ma  jeunesse  est  caduciue  ; 
mais  la  bêtise  qu'on  me  voit  pcrmane  dans  l'étcrnilé. 

—  Vive  l'armée  !  exclama  Dérouléde. 

—  A  bas  les  juifs  1  hurla  Gaston  Méry,  que  Possien, 
ignoblement  ivre,  chavirait  dans  les  bras  de  Pollonnois, 
|)ar  le  seul  faguenas  do  sa  malebouche  pestilente. 

—  La  chéro  est  délectable,  notifiait  le  marquis  do  Vas- 
ca.^'at,  redressant  d'une  main  fébrile  son  toupet  légen- 
daire; ce  poisson,  notamment,  vous  savez  bien,  mon  cher 
KéL'is,  le  machin  au  bleu  était  si  culinaire  que  je  me  suis 
'  ru,  le  mangeant,  à  ma  table  de  famille. 

Ail  I  ce  ne  sont  pas  les  dreyfusards,  les  vidangeurs  syn- 
ilioataires  ni  l'anarchiste  Pressensé  qui  offrent  cà  leurs 
amis  de  tels  régals  I 

—  Voilà  qui  est  parlé,  mon  benoît  collègue,  approuva, 
ruisselant  de  graisse,  le  Jésuite  Dramont.  Sur  sa  barbe, 
le  vin  de  cinuame  coulait  pèle-mèlo  avec  l'huile  de  roses, 
ihiyant  sous  un  flot  de  parfums  les  insectes  coutumicrs. 
—  Entre  nous,  cependant,  la  chose  manque  de  gailc. 
Le  maître  du  logis  aurait  dû  préparer  quelque  assassi- 


114  A  TRAVE1S  I.FS  GUOriNS 

nal  un  peu  folâlic  cl  des  négociants  paisibles  à  égorger, 
pour  le  dessert. 

Mais  l'oraison  du  sociologue  s'éteignit  dans  un  hour- 
vari  formidable.  Parmi  les  coupes  brisées  et  les  sauces 
épandues,  quehiues  antisémites  à  poigne  maîtrisaient 
Alphonse  Hunibert,  ceuniant,  furieux,  épilepticjue,  |)0ur 
ce  que  Barres  venait  de  lui  refuser  cinquante  centimes 
qu'il  cherchait  à  emprunter.  Celui-ci,  trè$  calme,  four- 
rait dans  sa  poche  les  cigares  à  trois  francs  et  les  mcguls 
entames  pour  n'avoir  pas  à  dépendre,  le  lendemain, 
chez  son  marchand  de  tabac. 

Soudain,  un  roulement  de  voiture  se  fit  ouïr,  puis  une 
voix  de  fournie  chevrotant  sur  un  air  connu  : 

Arrête,  cocher 
J'ai  mes  trois  cheveux  pris  dans   la  portière 

Arrête.  cocSer, 
J'ai  mes  quatre  dents  sous  le  marchepieil. 

Et  cîiacun  reconnut  là  que  c'était  Marie-Anne  de  Kc- 
rjubiin,  la  ven,:.'ereise  de  l'Aimée,  la  pucelle  cocardière 
aux  farouches  boniments.  Elle  entra,  comme  Alcibiade  au 
banquet  d'Agathon,  et,  négligeant,  cette  fois,  de  baiser 
ses  coiii|)agnes  à  la  bouche,  fut  poser  sa  couronne  sur 


DN  SOUPEn  CHEZ  SIMON  115 

le  front  de  Déroulède  qui,  malgré  l'héroisme  qu'on  lui 
sait,  bondit  épouvanté.  Des  membres  de  la  Ligue  pré- 
servèrent sa  retraite  et  Marie-Anne,  un  peu  confuse, 
tendit  ses  violettes  à  Drumont  qui,  du  moins,  pour  la  lai- 
deur, commémorait  Socrate. 

—  Tout  ça  n'est  pas  chouette  pour  deux  ciguës,  réitéra 
Peau-de-Requin,-  en  vidant  son  petit  verre  de  coca  Ma- 
rinoni.  Ces  gens-là  sont  trop  poires.  Ils  font  pallas  et 
dix  de  gueule  ;  c'est  marrant  quand  on  est,  comme  eux 
et  moi,  fils  de  putain,  putain  soi-même,  forçat  ou  ma- 
quereau. D'ailleurs,  la  viande  kasher  me  donne  envie 
d'aller  au  refile. 

Ab  !  nous  aurions  besoin  d'un  beau  jeune  honinic 
pour  en  faire  notre  dieu  et  «  l'aimer  comme  papa.  » 
Ainsi  chantais-je  à  Saint-Lazare  !  Mais  le  truc  du 
Nazaréen  —  un  joli  mec  cependant  —  choit  dans  la 
mélasse.  11  ne  l'ait  même  plus  rouspéter  les  flicks. 
J'ai  vu,  aux  Quat'-z-Arts  et  ailleurs,  le  pante  Jehan 
Rictus,  un  loupiot  à  l'œil  jamboonique.  Il  affîure  dos 
pépètes  en  faisant , Jésus- Christ  avec  les  interjections  de 
Bruant  et  les  mots  de  Richcpin.  Il  la  relève  en  tom- 
bant les    vieilles    Madeleines;  on   le  loue    comme  un 


116  A   rRAVEris  LES  GROllNS 

fiacre,  chez  les  passionnées  en  retraite.  Il  fait  la  monte 
pour  un  laranlqué  et  console,  à  juste  prix,  les  ventrus 
quinquagéonires,  tant  la  profession  de  Jésus,  à  présent, 
est  déchardc.  Vrai,  c'est  un  bon  Dieu  qui  n'est  pas 
fiérot. 

—  Vive  l'armée  !  ap|)uya  Déroulcde. 

—  A  bas  les  Juifs!  opina  Drumont. 

—  Crevons  Reinach  !  dit  un  souscripteur  de  la  Liste. 

—  Vous  n'aurez  pas  r.\lsace  et  la  Lorraine,  proféra 
Millevoye. 

Pendant  ce  temps,  Humbert,  ayant  trouvé  préteur,  li- 
bellait un  effet  à  quatre-vingt-dix  jours  pour  l'Ethiopien 
de  servie?.  Dans  la  pénombre  discrète,  Lucie  de  Bolh- 
saide  susurrait  à  Madame  de  Capharnaiim  ces  exclama- 
lions  melliflues  que  l'oreille  ne  perçoit  pas. 

Alors  une  draperie  s'écarta,  révélant  un  paysage  de 
nuit  crépusculaire,  de  bois  d'oliviers  et  de  lauriers  en 
fleurs.  Dans  une  buée  lumineuse,  le  Galiléon  se  montra, 
tenant  son  cœur  rougcâtre  ainsi  qu'un  massepain.  11 
porta  sur  les  coDrives  une  dextre  de  lumière,  et,  joyeux 
de  leur  union,  les  bénit  avec  douceur. 

—  Chrétiens,  mes  serviteurs    et  mon    lignage,   leur 


UN  SOUPER  CHEZ  SIMON  117 

dit-il,  j'ai  fait  pour  vous  des  œuvres  sans  secondes.  Je 
vous  ai  permis  de  garder  vos  membranes  et  de  vous 
emplir  de  charcuterie.  Vous  avez  brûlé  le  Sérapéura 
de  Memphis.  Vous  avez  émiellé,  dans  les  fours  à  chaux, 
les  dieux  tulélaircs  d'Athènes.  Vos  moines  ont,  sous 
l'orteil  de  leurs  pieds  sales,  écrasé  la  Raison.  Vous 
avez  cuit  Savonarole  et  tourmenté  Galilée.  Vous  avez 
léché  le  crottin  de  Bonaparte,  larronné  la  Révolution 
française,  restauré  les  jésuites  et  conquis  M.  Briincliére 
à  vos  desseins.  Je  suis  content  de  vous  !  Après  deux 
mille  ans,  je  veux  encore  vous  bénir  et  vous  récom- 
penser. J'abolis,  en  votre  faveur,  les  derniers  scrupules 
qui  prohibaient  le  larcin,  le  meurtre  ou  l'imposture. 
Vous  ayant  donné  l'Affaire,  je  maintiens  d'autres  pré- 
sents :  mon  nègre  Cassagnac,  la  veuve  du  Faussaire, 
Jules  Guérin  l'assommeur  et  Max  Régis  l'cstafier.  Pour 
une  longue  suite  d'ans,  je  vous  concède  Barrés,  Drumont 
et  Flamidien.  » 

A  ces  mots,  la  foule,  reconnaissant  combien  il  était  dieu, 
se  rua  aux  genoux  du  Visiteur.  Plus  rapide  que  l'onagre, 
Marie-Anne  de  Kéroubim  inonda  ses  pieds  d'Eau  do 
Cologne  et,  d'un  geste  fanatique, les  frotta  de  ses  cheveux. 


lis  A    TRAVERS    LES    GROLINS 

—  Merci  bien,  dit  Jésus  en  l'écartant,  mais  ils  sont 
par  trop  rares.  Je  n'aime  point  l'humidité,  craii-'nant  les 
rhumes  de  cerveau.  Et,  d'un  geste  amical,  il  offrit  ses 
orteils  divins  à  la  séduisante  Capharnaiim  qui  les  torcha, 
non  sans  élégance,  dans  le  dernier  numéro  de  la  Lib>e 
Parole. 


LES  MAGES  AU  BERCEAU 

(C0NT2  POUR  LE  JOUR  DES  ROIS) 

A  mon  cher  maitre,  Jacques  de  Boisjolin. 

kt-^N  ce  tenip;-!;!  Jésus  coiiliiiuait  h  naitre  depuis 
dix- neuf  cents  aimées.  Sur  le  chcmiQ  de  scn 
I  lab !c,  (1(-'S  andouilles  par  monceaux  el  dos  tripes  en  cliar- 
iiau'e,  cl  d;s  lainpirns  versicolores  mani-'cslaient  la  dévo- 
li'ii  cillioliiiue.  Par  un  miracle  inouï,  portenleux  et  spec- 
taculaire, une  allégresse  frénétique  s'emparait  du  monde 
ci.ilisé,  ave;  la  ligueur  d'une  échéance  et  l'ébriété  d'un 
carnaval.  C'était  plus  drôle  que  Gauthier- Villars  faisant 
des  calembours  sur  Beethoven,  plus  hilarant  que  Gyp, 
reprochaut  à  Israël  d'avoir  le  nez  torlu. 
Par  les  chemins  durcis  de  glace  et  les  bois  aux  pendentifs 


150  A    TRAVF.n'^   LES    GIIOTINS 

de  givre,  sous  les  sapins  à  la  baibe  de  frimas,  les  Gentils 
pérégriiiaieiil  vers  Bethléem,  car  chacun  sait  qu'en  Ju- 
dée, on  ne  voit,  en  décembre,  ni  glace,  ni  frimas. 

L'étable  où  reposait  l'Enfant  était  cossue,  majestueuse 
et  balayée.  Un  bondieusard  de  la  rue  Saint-Sulpice  en 
avait  fomenté  l'architecture  et,  pour  la  garnir  de  foin 
bien  chaud,  M.  Coppée  avait  jeûné  longtemps.  Des  orne- 
ments d'un  goût  saumàtre,  où  le  genre  parfumeur  et  le 
style  chemisier  s'épanouissaient  à  l'aise,  accommodaient 
en  pralines  le  crollin  des  animaux,  posaient  sur  le  nou- 
veau-né d'atroces  baldaquins.  Joseph  de  Rochefort-Lu- 
f ay,  en  robe  canari,  tenait  la  porte  ouverte,  accueillait 
d'un  bjn  sourire  les  niichetons  de  son  auguste  Épouse. 
Personne  d'ailleurs  n'en  eût  osé  médire,  car,  d'après  une 
ordonnance  chère  aux  Pharisiens,  offenser  en  paroles  un 
ménage  modèle,  ainsi  que  ses  beaux-frères,  coûte  an  dé- 
linquant trois  milles  sliikles  d'or. 

Ainsi,  les  visiteurs  éprouvaient,  en  ce  lieu,  des  sensa- 
ti.)us  charmantes.  A  condition  qu'ils  apportassent  quolipie 
chose,  les  plus  bêtes,  les  plus  sales  et  les  plus  vils  accro- 
chaient un  sourire  de  la  jeune  Mère  avec  l'elTusive  étreinte 
du  Charpentier.  Derrièro  lui,  broutant  l'aviine  on  l'épean 


LES    MAGES    AD   BERCEAU  iH 

tre,  le  bœuf  et  l'âne  rivalisaient  de  dislinctioii.  En  effet, 
pour  éviter  les  cacades  inhérentes  à  cm  quadrupèdes, 
l'on  avait  substitué,  au  ruminant,  M.  Mézières,  au  soli- 
pède,  Jean  Rameau.  Député  juif,  larbin  antisémite  de 
l'Elat-Major,  Mézières  somnolait  à  plat  ventre,  mâchon- 
nant de  confuses  onomatopées.  Son  mufle,  par  une  com- 
binaison gracieuse,  rappelait  à  la  fois  le  P.  Dulac  au 
museau  de  fouine,  le  P.  Didon  à  la  tèle  de  veau.  Pour 
Jean  Labegthe,  il  hennissait,  renâclait,  pétaradait,  con- 
naissant que  la  Prose  de  l'Ane  fut  spécialement  harmo- 
nisée pour  lui. 

Ce  Rameau  peu  ordinaire, 
Clopinant  tout  de  guingois. 
Réconforte  le  Gaulois, 
De  sa  vigueur  asinaire. 

Eh!  sire  Rmneau, chantez, 
Car  belles  louches  avez. 
Aurez  de  la  paille  assez 
Et  des  orges  a  iilanté.  Hi  lian  ! 

Les  pasteurs  du  voisinage, accourus  en  foulc,contribuaient 
par  maintes  viandes  hétéroclitesau  réveillon  de  Bethléem: 
grives,  dindes  aux  marrons,  poitrines  de  vieilles  dames, 


m  A  TRAVEBS  LES  GR0UIN3 

plus  3  francs  73  que  la  Bonne  Souffrance  ?alut,  jusqu'à 
présent,  à  son  éditeur.  Les  uns  couverts  de  peau  de  bête, 
comme  Jean  le  Baptiste,  d'aucuns  portant  limousine  tri- 
colore, vociféraient  en  chœur,  sans  nul  souci  du  ton 
ou  de  la  mesure,  un  Noël  plein  'd'inîrénuité.  Et  c'était 
Joris-Karl  Hajsmans,  remarquable  par  ses  cathédrales 
en  bouchon,  et  le  jeune  Thiébaul  luisant  de  firas-fondu  ; 
Paul  Bourget,  habile  à  couper  les  chats  en  quatre  et 
Brunetièro  éleveur  de  sangsues  doctrinaires  ;  Sorel  qui 
n'a  rien  de  commun  avec  Agnès  du  même  nom  que  son 
béguin  pour  la  maison  de  France,  et  Thnreau-Dan?in, 
sans  rival  pour  les  cataplasmes  historiques  et  le  style 
invertébré  ;  Lavedan,  cavalcadour  es  bidets  ;  Jean  Lor- 
sain,  pasteur  d'étalons,  peu  goûté  dans  les  vélodromes  (à 
cause  qu'il  n'encourage  que  les  cyclistes  à  long  dévelop- 
pement). Barrés,  vierge  comme  Abélard,  offrait  quelques 
ureus  dans  le  cabas  qui  servait,  jadis,  à  madame  sa  mère 
pour  accomplir  son  marché,  cependant  qu'un  rég  nient  de 
vieilles  ducaillcs  :  les  Broglic,  les  Audiiïret  Pasquier  et 
autres  seigneurs  sans  orthographe  décoraient,  à  la  façon 
de  magots,  les  coins  sombres  du  local. 
Soudain,  une  musique  retentit,  luintuine,  d'abord,  puis 


LES    MAGES    AD    BKRCEAO  123 

furieuse,  immédiate  et  déchaînée  :  cymbales,  tioiiipeltes. 
lifres  suraigas.  Des  coureurs  frottés  d'huile,  des  eunu- 
ques en  robe  verte,  des  cornacs  aux  manteaux  d'hyai'in- 
the  cramoisie,  des  soldats  aux  chevehires  empennées  s'a- 
uilaient  secouant  raille  flambeaux  autour  des  palanquios 
et  des  bêtes  de  somme.  Des  éléphants  imbriques  de  ver- 
roteries, de  plaques  métalliques  et  de  housses  diaprées  ; 
des  onagres  au  pelage  de  tigre  avançaient  parmi  la  l'oule. 
On  eût  dit,  çà  et  là,  de  pesants  navires  sur  une  mer  où  le 
col  sinueux  des  girafes  et  la  bosse  des  dromadaires  fai- 
saient, par  place,  ondoyer  quelques  remous.  Un  héraut  à 
dalmatique  d'or,  chargé  de  bracelets  et  de  pendants  d'o- 
reilles, vociféra,  dans  un  buccin  de  cuivre,  son  altière  fan- 
fare, apprenant  aux  quatre  vents  du  ciel  que  les  Rois 
Mages  en  personne  daignaient  perarabuler  à  travers  la 
nuit.  Dans  le  ciel  de  velours  noir  éclaboussé  de  gemmes, 
une  étoile  insolite  brillait  sur  le  cortège.  Ses  feux  multiples 
irradiaient,  bleus  comme  le  saphir,  vijieux  comme  le  rubi;, 
troubles  comme  l'opale,  aveuglants  comme  l'escarboucle, 
limpides  comme  le  diamant. 

Bientôt  les  augustes   cavaliers  mirent   pied  à   terre, 
car  la  fantastique  étoile,  pareille  à   un  serpenteau  mal 


lii  A    TRAVERS    LK3    GSOIIXS 

dirigé,  abattait  son  vol  de  flamme  sur  le  toit  néo-pignouf 
de  la  crèciie  où  Rameau  ne  cessait  de  liraire  des  can- 
tiques. 

Les  Mages  entrèrent,  annoncés  par  Joseph  et  conduits 
par  Arthur,  chambellan  de  toutes  les  Majestés,  profès  en 
belles  manières,  pilote  ancien  de  Blanche  d'Antigny  et 
Palinure  habituel  sur  les  trirèmes  du  désert.  Et  les  rois 
saluèrent  l'Enfant  Dieu  qu'ils  reconnurent  de  suite  pour 
l'avoir  fréquenté  dans  leurs  églises,  dans  leurs  pays  res- 
pectifs. Melchior,  roi  nègre,  de  la  nuance  Jean  Aicard,  le 
prit  ingénument  pour  Horus  sur  les  genoux  d'Isis:  Bal- 
thazar,  le  jaune  touranien,  crut  revoir  Ninus  bercé  par 
la  grande  Sémiramis,  taudis  que  Gaspard,  curieu.t  boud- 
dhiste, saluait  à  la  fois,  dans  cet  enfant,  les  parthénoge- 
nèses de  Krischna  et  de  Çakia-Mouni. 

Seigneur,  dit  Melchior,  en  déposant  un  couffin  de  résine 
aux  pieds  du  Nouveau-Né,  je  t'apporte  l'encens  agréable 
aux  narines  des  dieux. L'idole  Mania-Jumbo,  tous  les  fé- 
tiches, tous  les  grisgris  se  résument  en  toi.  Nous  faisons 
cuire  dans  l'eau  bouillante  nos  prisonniers  de  guerre, 
nous  offrons  le  sang  des  beaux  jeunes  hommes  aux  larves 
des   aïeux.  Tu  svncretiscs  l'ignominie  dévote  ;.  nos  cultes 


LES    MAGES    AD  BERCEAU  125 

ferocqs  ou  idiots,  tu  les  perpétueras  dans  le  crime  et  la 
stupidité.  Salut,  dernier  Christ  de  la  bêtise  humaine  ! 
.Maître  des  cœurs  tremblants  et  des  fronts  aplatis.  Dieu 
lies  bùrhers,  du  Sacré-Cœur  et  des  Pères  de  Lourdes,  je 
vénère  en  toi  maints  siècles  de  cannibalisme  ou  d'abrutis- 
senient.  Je  t'asservirai  mes  peuples,  je  t'approvisionnerai 
d'inquisiteurs.  Voici  Drumont  le  cambrioleur  et  le  boucher 
Cassagnac,   mulâtre  baptisé.  Salut  à  toi,  Jésus! 

—  Pour  voler  cette  pécune,  dit  Balthazar,  en  Taisant 
rouler  sur  les  dalles  pièces  et  lingots  d'or,  mes  Tatars  ont 
dévasté  la  plaine,  incendié  les  maisons  et  saccagé  les  for- 
teresses. Au  galop  de  nos  chevaux,  la  terre  frcniissait,  les 
astres  tombaient  des  cieux.  Mes  lils  travailleront  pour  toi, 
depuis  Attila,  maître  des  Huus,  jusqu'à  Napoléon,  le  ban- 
dit corse,  voleur  de  consciences  et  cambrioleur  de  cites. 
La  souillure  militaire  dégradera,  pour  te  les  soumettre, 
les  races  libres  et  Gères,  empoisonnera  de  chancres  irré- 
ductibles les  esprits  et  les  corps. Mes  casernes  protégeront 
les  cathédrales,  et  tes  couvents,  et  tes  gymnases.  Le  sabre 
de  mus  pandours  favorisera  les  déprédations  de  tes  minis- 
tres. D'un  commun  accord,  nous  installerons  dans  le  monde 
la  bassesse,  la  couardise  et  laterreur;  nous  jetteronsla  nuit 


12:;  A  TRAVERS  LES  GROCINS 

sur  riiuniaÏDe  ponsée  ;  nous  truciderons  les  innocenls.  Tu 
seras  le  lils  ilu  Sabaolli.  mon  inspirateur  et  mon  esclave. 
Salul  à  lui,  Dieu  profitable,  Dieu  des  faussaires  et  des 
armées  ! 

—  Moi,  Seigneur,  dit  Gaspard,  découvrant  à  demi  uu 
vase  d'or  précieusement  chargé  de  baroques  ciselures,  je 
n'offre  pas  grand'chose  à  Votre  Majesté.  C'est  la  myrrhe 
des  funérailles,  gardée  en  une  coupe  d'or,  comme  ces  lar- 
mes brillantes  que  la  fille  incestueuse  épandit  sur  Gin- 
gras.  Je  VI. u3  ai  rencontré  dans  les  fables  de  mon  pays, 
lorsque,  au  lieu  du  nom  que,  plus  lard,  égayera  le  vaude- 
ville, je  portais  celui  de  Galha-Spaça,  le  pénétrant,  et 
qu'un  rayon  d'Indra  éclairait  mon  génie.  Vous  clcs  venu 
tard  après  l'Inde  fabuleuse  et  la  Perse  héroïque  et  les 
amphyctionies  d'Hellas.  La  beauté  des  Dieui  s'est  retirée 
du  monde  :  mais,  pour  iaoculer  aui  âges  postérieurs  ce 
que  leurs  prêtres  ont  d'avarice  et  d'inhumaine  turpitude, 
nul  ne  remportera  sur  votre  règne. 

.Mesdesi-endants,  épris  de  connaître  el  de  penser,  auront, 
en  VOUS,  leur  plus  cruel  ennemi.  Par  le  poison,  par  li-  bâ- 
cher. ])ar  le  mensonge,  vous  étoufferez  de  votre  mieux 
lintelligence humaine  et, sacrilèges  thuriféraires,  les  be- 


LES    MAGES    AU    B::nCEAU  l'i? 

(leaux  encenseront  voire  ciel  de  nos  livres  consumés.  Dieu 
des  lâches,  des  ignorants  el  des  malades.  Agneau  canni- 
bale^des  autels  futurs,  en  attendant  que  la  mjrrlie  em- 
baume ton  cadavre,  salut  à  toi,  Jésus  I 

Ayant  ainsi  conféré,  les  Mages  quittèrent  l'clable  au 
grand  contentement  de  Jean  Rameau  qui,  sur-le  champ 
reprit  une  cantate  de  formidable  longueur.  Marie  Anne  de 
Keroubim,  ayant  brisé  sa  dent  màchelière  contre  la  fève 
d'un  gâteau,  l'interrompait  de  cris  aigus. 

Mais  au  dehors  les  esclaves  se  lamentaient  et,  pour  as- 
sembler les  équipages,  leurs  maîtres  les  appelaient  en 
vain.  L'étoile  aux  feux  changeants  avait  disparu  du  ciel. 
Tout  en  haut,  dans  le  pâle  azur,  brillait  seul  un  feu  rose 
que  l'aubeéteignait  déjà. 

—  Celte  flamme  que  tu  vois,  dit  Gàtha-Spaça  au  nègre 
tremblant,  c'est  léloile  permanente  de  la  destinée  hu- 
maine, étoile,  qui  survivra  aux  flambeaux  mensongers  des 
rites  évanouis.  Astre  de  la  volupté,  lorsque  tombe  le  soir, 
elle  est,  à  l'aurore,  annonciatrice  du  travail.  Le  rossi- 
gUijl  la  salue  d'une  plainte  amoureuse,  dans  les  crépus- 
cules embaumés;  l'alouette,  au  matin,  lui  darde  sa  chan- 
son. Elle    guide,  sur  les  Ilots,   l'audace   du  naulonnier. 


1Î8  A  TRAVERS  LES  GROIINS 

Symbole  de  la  raisnn  éternelle  et  du  labeur  fécond    et  de 
l'Amour,  seul  Rédempteur. 

A  ces  mots,  le  Prince  jaune  et  le  Monarque  nèjrre  se 
séparèreut  du  Majie  iudien  avec  horreur,  chacuu  s  eu 
allant,  par  des  roules  différentes,  vaquer  à  son  métier 
de  potentat. 


ï 


ENTRE  SOUTANES 


'est  à  l'institut  Notre-Dame-cIe-la-Trpillo,  dnns  la 
salle  haute  où  les  frères  des  écoles  chrétiennes 
;?Qi  inculquent  aux  éphèbes  le  goût  de  la  prose  fran- 
çaise et  les  lois  de  l'inversion.  Un  lit  sordide  occupe  le  mi- 
lieude  la  pièce  avec  maints  fauteuils  et  chaises éculés.  Des 
instruments  de  pédaoogic:  férules,  martinets,  sont  appen- 
dusaux  murs  entre  des  crucifix  oi'i  les  plâtriers  de  la  rue 
Saint-Sulpice  ont  incarné  l'idéal  de  laideur  inhérent  aux 
personnes  pieuses.  Un  attire  Jésus-Christ,  posé  sur  le  poêle 
à  rôtir  les  fesses  des  gamines,  s'arrache  un  cœur  incandes- 
cent d'une  poitrine  de  nougat.  Dans  un  coin,  plusieurs 
malles  de  différentes  pointures  attendent   les  cadavres  en 

9 


130  A  TRAVEnS  LES  Gitontxs 

disponibilitc.  Cote  à  côte,  sur  le  pied  du  lit,  M.  Fl.-iiniilicn, 
rédacteur  en  chef  à  la  Heviie  des  Deiix-Moiule?,  et  le 
F.  Bninelière,  ignoranlin,  devisent  familièrement.  Des 
toiles  d'araignées  grelottent  en  haut  des  plinthes,  cotnme 
dans  le  Frisson  de  Mallarme. 

Flamidien,  — Convenez-en,  monsieur  llruiielière.  vous 
avez  manqué  d'estomac.  Vous  avez  mal  à  propos  cédé  à  la 
crainte  des  francs-marons,  des  libres-jionseurs.dps  alliées, 
des  impies,  des  socialistes  et  autres  juifs.  Il  fallait  faire 
celle  conférence  que  le  bruit  suscité  par  la  morl  de  mou 
petit  amant  arrêta  de  manière  inopjorlune.  Il  fallail  mon- 
trer aux  âmes  irrélijiieuses  raccord  de  la  Science  et  des 
bonnes  mœurs  qui  font  l'ornement  de  la  très  sainte 
Eglise  catholique  en  général  et  de  l'Instilul  du  birnlicu- 
reux  La  Salle  en  particulier.  Mais  voilà:  malgré  vos 
bonnes  intentions,  malgré  votre  Iiaine  de  toute  liberté,  de 
toute  indépendance,  il  vous  manque  un  peu  de  celle 
ni.Ue  vigueur  si  largement  dévolue  à  notre  inslilution. 
En  un  mot  comme  en  A\\,  vous  avez  eu  la  trouille. 

Votre  organi.^me  se  ressent  de  l'opium  élaboré  par  vous 
en  d'innombrables  articles. 

L'Iiab'lude  fâcheuse  de  prendre  des  bain<  a  rit  iéde 


ENTRE    SOUTANES  ISl 

votre  personne  le  meilleur  de  sa  verlu.  Vous  n'avez  pas, 
si  je  l'ose  dire,  de  ceinture  aux  lianes,  tandis  que  la  plu- 
part de  nos  frères,  comme  Jean  Lorrain,  en  portent  vo- 
lontiers deux  paires  plutôt  qu'une.  Funeste  follet  des  ac- 
cointances mondaines  et  de  la  familiarité  dos  princesses! 
Dans  nos  saintes  demeures  où  ne  respire  que  l'amour  de 
Dieu,  la  charité  envers  ses  créatures  ;  cù  la  savate  de 
humilité,  le  moutardier  de  pénitence  ouvrent  l'intellect 
des  jeunes  enfants  aux  bienheureuses  amours,  de  pareils 
accidents  ne  se  produisent  Jamais. 

Nous  avons  les  ongles  noirs,  l'haleine  fétide  et  le  pied 
caséeux.  Nous  nous  distinguons  du  commun  des  hommes 
par  l'énorniité  de  nos  épaules,  sans  compter  le  reste.  Mais 
douéSj  comme  l'on  nous  voit,  de  ces  fortes  qualités,  nous 
dédaignons,  en  même  temps,  les  bienséances  et  l'hydrothé- 
rapie. Nous  exhibons  avec  sérénité,  devant  la  foule,  tous 
les  dons  que  le  ciel,  dans  son  infinie  miséricorde,  a  bien 
voulu  nous  impartir. 

Vous  auriez  dû  faire  cette  confére.ice.  Vous  avez  déjà 
rendu  à  notre  Sainte  .Mère  Eglise  d'inappréciables  ser- 
vices. Il  n'a  pas  tenu  à  nous  que  l'esprit  d'investigation 
démuselé  par  les  Encyclopcdisles  et  cet  infâme  Voltaire 


132  A    TRAVERS  LES   C-ROUINil 

ne  fùl  à  jamais  délroné.  Sous  voire  direction  —  ah  !  cim- 
bieii  orthodoxe  !  la  Science  ne  tarderait  pas  à  redevenir 
cette  prêtresse  au\  voile;  floltauls  irnavinée  par  11.  de 
Maistie.  Car  vous  abominez  presque  autant  que  l'auteur 
du  Pape,  l'ignoble  Science  moderne  qui  travaille  et  se 
conforme   au  plan  du  monde. 

Mais,  quels  que  soient  v.js  mérites  passés,  il  convenait 
vous  affirmer  itérativemenl  à  l'houre  du  péril,  de  donner 
ce  nouveau  gafie  de  vos  sentiments  à  la  Chaire  de  Pierre 
et  au  Clergé  National. 

Drunetière.  —  Parmi  toutes  les  vanités  du  mondi,-.  il 
n'est  rien  de  si  désoblij.'eant  que  payer  de  sa  personne  et 
j'ai  appris  de  Vascagat  que  ces  bîns  Pères  de  la  Compa- 
gnie marchent  environnés  de  tant  d'astuce  que  ceux  qui 
les  accompagnent  sont  obligés  de  tirer,  à  leur  place,  les 
marrons  du  feu,  de  peur  que,  s'échandant  les  doigts,  ils 
no  rendent  enfin  un  si  déplorable  hommage  à  la  condition 
humaine.  Elevé  comme  je  fus  dans  leurs  disciplines,  il  ne 
conviendrait  pas  que  je  m'écartasse  du  principal  de  cet 
enseignement,  ni  que  j'exposasse,  en  ma  personne,  un  de 
leurs  plus  fermes  défenseurs. 

Je  suis  à  peu  près  le  seul  intelleotuel  qui  leur  demeure 


ENTHE   S0DTANE3  133 

attaché  ;  car  Déroulède,  saisi  par  la  gloire  des  armes, 
Thiébaud  par  l'éloquence  tribunilienne  et  Coppée,  le  «  par- 
nassien de  première  classe,  »  par  la  manutention  des 
drogues  nationales,  défèrent  à  l'éclat  trompeur  du  siècle,  à 
l'orgueil  de  voir  leurs  noms  cités  dans  les  papiers  publics. 
Ce  sont  de  plats  gredins.  Mais  qu'importe  la  canaillerie 
sans  la  grâce  du  Très-Haut?  Fussiez-vous  disert  comme 
Millevoye,  brave  comme  Rochefort,  probe  comme  Judet, 
noble  comme  Possien,  joli  comme  Vervoort,  cocu  comme 
Barrés,  vous  n'êtes  rien  sans  la  grâce  :  sine  gratia  nihil. 

Et  maintenant,  quittons  un  peu  la  langue  de  Bossuet. 

Pensez-vous  que,  pour  vos  beaux  yeux,  j'aille  exposer 
ma  personne  au  siftlet  des  viles  multitudes  ?  Je  n'ai  pas 
besoin  du  cachet  dérisoire  que  me  promettent  les  habi- 
tants de  Lille,  ayant  trouvé,  dans  la  réaction,  mainte 
aubaine  profitable.  Et  puis,  voyez-vous,  mon  très  cher 
frère,  j'estime,  sub  rosa,  que  vous  allâtes  un  peu  loin. 
Non  que  je  blâme  en  aucune  sorte  le  viol  des  petits  enfants 
qui,  d'une  manière  indiscutable  et  véhémente, confirme  les 
privilèges  de  l'Eglise.  Mais  pousser  jusqu'à  l'homicide, 
voilà  qui  me  semble  exagéré.  A  moins  que  vous  n'ayez  le 
sadisme  pour    excuse.  De  tout   temps,    les  communautés 


I3J-  A   TUAVER3    LE<    GROOINS 

reli:^'ii;u<ps  eurent  le  secret  de  lireuvages  stupiTiarils  qui 
troublent  la  mcmoire  et  la  raison,  juste  assez  pour  |i(iii- 
voir  nier,  si  la  vii-llmc  a  le  inaurais  goût  de  se  plaindre. 
Le  père  Girard  en  usait  avecla  Cadière.  A  son  exemple, 
tous  les  confesseurs  préviennent  ainsi  la  mauvaise  liu- 
meur  des  virginités  récalcitrantes. 

Flamidien.  —  Mais,  par  la  Saint-SangreboisI  imaginez- 
vous,  mon  cher  monsieur,  que  je  l'ai  chouriDc,  pour  mon 
plaisir,  ce  cher  petit  Foveau  que  j'aimais  tant  !  Ah  !  si 
vous  aviez  vu  comme  il  était  mignon,  premier  que  les 
libres-penseurs  m'eussent  contraint  de  lui  scier  la 
gorge.  Que  de  pures  délices  nous  goûtâmes  ensemble  et 
comme  il  vibrait  s  jus  mes  caresses,  le  cher  violon.  Mais 
hipuir  des  anarchistes  m'a  fait  égorgiller  bien  doucetlo- 
ment  ce  bardacbe  infortuné,  au  giand  contentement 
de  sa  famille  qui  n'eut  rien  de  si  pressé  que  de  rendre 
sa  dépiiiille  à  mes  confrères  de  la  paroisse.  Preuve  iii- 
conlestab'e  que  la  ProviJe:ice  est  avec  nous.  Vous  seul, 
monsieur,  nous  avez  fait  défaut. 

Drunetière.  —  Décidément,  très  cher  frère,  vous 
manquez  un  p  !U  d'idées  générale;.  Ce  sont  les  présidenls 
de  la  Ligue  si   éiniuemmo.it  fraiiraise  (où  les    noms  de 


ENTP.E    30UrANE3  iS'i 

Jlassimilaiio  Rugis  et  de  l'antisémite  Trois-Luiics  et  du  '^ù- 
néial  Vers  les  Tilleuls,  unissent  les  patronymes  autochto- 
nes de  Zurliudeu  et  de  Tiémund)  qui  m'enjoignirent  cette 
L-acade. 

Nous  avons  bien  autre  chose  à  faire  fjue  de  sauver  un 
loupable,  que  de  nicllre  à  mal  le  premier  honnête  homme 
viMiu.Vos  frères  suffisent  amplement  à  cette  besogne.  Quant 
à  nous,  entrepreneurs  de  faux,  de  vols  et  d'incendies,  nous 
incarcérons  les  braves  gens  par  fournées.  Un  innocent 
nius  incommode  :  aussitôt  nous  l'expédions  à  Cayennc, 
[iriaut  M.  Rochefort  de  le  vilupérer  chaque  malin.  La 
France  a  commis,  hier,  le  crime  de  nommer  Présidei;t 
de  la  République  un  républicain.  Mes  bons  amis  :  Jules 
Cluérin,  les  souteneurs  de  la  Villetle,  les  escarpes  de  la 
rue  Saint-Dominique  et  les  bedeaux  de  l'archevêché 
vont  faire  payer  cher  sa  magistrature  à  celui  qu'ils  nom- 
ment déjà  Panama  1".  Toute  une  glorieuse  campagne 
d'insurrection,  de  mensonges,  de  calomnies  et  delàchelés 
nous  ouvre  sa  carrière.  La  rue  abominable,  féroce  et  pu- 
sillanime hurle  par  la  bouche  de  tousses  voyous.  Nous 
devons,  cher  frère,  nous  réserver  pour  la  Croisade  sain'.e 
des  intérêts  matériels  que  défendent  les   Deux  Glaives, 


136  A  TRAVERS  LES  GROEINS 

pour  la  prise  (rarmes,  pour  les  holocauslcs  que  le  Sabre 
el  lo  Goupillon  furaenlenl  au  nom  de  la  Propriété. 
.  Flamidien.  —  J'accède  à  vos  raisous  el  m'incliiie  de- 
vaiil  celle  logique.  Amen!  Quelles  que  soient  les  révo- 
lutions, les  tourmentes  populaires,  l'Eglise  sauvera  son 
egcu.  Le  frère  Flamidien  aura  son  pain  cuit.  Je  trou- 
verai toujours  quelques  mères  cLréliennes  pour  mij 
confier  l'cducatio:!  de  leurs  enfants.  A  présent,  un  senl 
mol  et  je  me  lais.  Entre  nous,  le  plus  escarpe  des  deux 
n'est  pas  relui  qu'on  pense.  J'aime  encore  mieux  vivre 
da:ss  la  peau  de  Flamidien  que  dans  la  vôtre,  Mon- 
sieur Brunelicre,  ii:sl'gateur  de  canailleries  vertueuse.-;, 
d'assassinats    patriotiques  et  d'abrutissement  national. 

•20  févrie:-  ISOO. 


NOTES 
ET    ADDITIONS 


NOTES 
ET  ADDITIONS 


Page  17  :        Diett  donne 

Quelques  dents  à  Barrés    .... 

Le  joli  garron  que  la  Boulange  enfourna  dans  le  Natio- 
nalisme ;  le  dandie  copain  de  Millevoye  et  porte-cotoji  de 
Déroulède;  le  Sganarelle  de  la  rue  Caroline,  ami  de 
Wyzéva  et  cunilingue  de  toute  personne  en  vue  ;  le  qua- 
dragénaire aux  chicots  mal  odorant?,  Barrés  enfin,  puis- 
qu'il faull'appeler  par  son  nom,  s'est  avisé  récemment 
d'une  manœuvre  près  de  quoi  la  déglutition  des  étoupes 
enflammées  n'est  que  petite  bière  etfruitdela  Saint- Jean. 

Le  monde  regorge  d'éclopos.  Les  uns  borgnes,  les 
autres  bancals.  D'autres  qui,  rétréi;is,  comme  Pappahy- 
drargiropoulos,  consument  leurs  heures  lentes  au  fond  de 


t  Kl  A  TRAVERS  LES   GROCINS 

les  lavacres,  marquis  de  Rambuteau  !  Quand  il  veut  ouïr, 
—  Maurras,  tel  qu'un  mal  blanc,  présente  sa  narine  d'où 
suiiile  maint  fa^'uciias  :  car,  à  l'imitation  des  fleurs,  il 
expire  d'étranges  aromates  :  benjoin,  civelle  et  petit 
musc. 

Barrés,  le  secoué  de  B^-rénice,  fait  voir  une  autre  spéci- 
Qcité.  Cela  est  plus  ostensif,  plus  gênant  aussi  que  les 
bobos  même  répugnants.  C'est  le  chancre  hunlérien,  la 
pelade  irrémissible  d'un  esprit  voué  par  définition  à  la 
niaiserie  autant  qu'à  la  bassesse-  Barres  est  incommodé 
par  la  fièvre  électorale,  intoxiqué  de  manie  politique.  Il 
cliahute,  devant  les  urnes  une  pastourelle  de  Saiiit-'ïuy, 
débistroquanlson échine enporte-nianteau et  faisant  trêve, 
pour  un  jour,  à  l'incomparable  ladrerie  dont  le  sort  le  bla- 
sonna.  Pour  s'asseoir  entre  Drumont  et  Déroolède,  il  hu- 
merait des  flots  de  boue  ;  on  le  verrait  lamper  —  tel  un 
chocolat  magnanime  —  les  plus  nidoreuses  déjections.  Na- 
turellement, son  âme  de  chiffonnier  vole  aux  tas  d'ordures 
et  telle  est  son  aristocratie  native  qu'il  y  trouve  fréquem- 
ment un  rogalo:i,  pour  ses  dents  à  pivots. 

L'ne  réclame  d'éditeur  nous  a  dévoilé  sa  plus  récente 
vilenie.  C'est  sur  la  tombe  de  Guaita,  close  depuis  près 


iNOTES  111 

d'une  année,  qu'il  vient  d'exécuter  la  parade  en  question. 
Compagnons  d'études  au  lycée  de  Nancy,  Barrés  et  le 
pauvre  Stanislas  avaient  entre  eux  un  abîme  infrancliis- 
sable  à  la  province.  Envieux  déjà,  Barrés  ne  voyait  point 
sans  jaunisse  l'héritier  du  marquis  de  Guaita  frayer  dans 
un  monde  où  lui,  marjolet  sorti  d'une  maison  infime  en 
bourgeoisie,  n'était  admis  que  par  dédaigneuse  faveur. 
Guaita,  généreux  et  débonnaire,  comblait  gracieusement 
le  fossé.  Mais  son  haineux  condisciple  n'en  verdissait  pas 
moins  de  rage  contenue.  Il  le  lui  fît  bleu  voir  aux  heures 
où  Guaita,  confiant  dans  les  souvenirs  de  jeunesse,  vou- 
lut obtenir  quelques  bous  offices  de  la  plus  banale  caté- 
gorie :  communication  aux  journaux,  assistance  dans  les 
duels.  Barrés  refusait  net,  de  cet  air  godiche  et  emprunté 
qui  le  caractérise. 

A  présent,il  bal  la  caisse  et  prend  orgueil  de  l'occultiste 
mort.  Ceux  qui  aimèrent  Guaita  ont  lieu  de  s'étonner.  Bar- 
vcs  fréquentait  peu  chez  ce  parfait  gentleman.  Son  man- 
que de  tenue  aurait  mis  quelque  froid.  Devant  les  amies 
de  Guaita,  le  délicieux  autour  d'Un  homme  libre  se  vau- 
trait dans  les  fauteuils  et  posait  sur  la  cheminée  ses  pieds 
interminables,  au  point  qu'on  oublia  toujours  de  le  con- 


Mi.  A    TRAVERS   I,E3    GROIINS 

vier  aux  symposium  cabalistiques  de  I  avenue  Trudaiue. 

Mais,  voilà  que,  neuf  mois  (le  temps  de  perpétrer  un 
gosse),  après  la  fin  douloureuse  de  son  compagnon  d'en- 
fance, il  lui  consacre  une  émotion  rctrospeclive,  !e  filan- 
dreuxhonneur  d"uiic chronique  cloupeuse  et  bomlieusarilc. 
Etranj/c,  n'est-ce  pas  ?  comme  dit  Vascagat,  suzerain  des 
vieilles  IxHos.  Etrani-'e  !  pas  le  moins  du  monde. 

Ayant  donné  tous  les  gages  de  serviliime  que  peut 
fournir  un  piedjdalde  sa  sorte  ;  ayant  emb..ité  le  pas  au 
«  général  de  cirque  »  et  ramassé  le  crottin  des  vivclar- 
mées,  Barrés  escompte  déjà,  pour  sa  future  veste,  le  bon 
vouloir  de  l'aristocratie  nancéenne.  A  ces  causes,  il  lla- 
gorneles  Guaita.  Il  retrouve  les  phrases  dont,  la  veille 
d'Une  journée  parlementaire,  il  pourlécha  Sarcey, 
«  esprit  net  et  judicieux  ». 

Il  orne  ces  obsèques  rétrospectives  de  courbettes  apla- 
ties, et,  sur  le  tombeau  même  de  celui  que,  par  convenance 
ou  pudeur,  il  devrait  oublier,  prostitue  jusqu'au  souvenir 
à  ses  ambitions  de  cuistre,  à  ses  ambitions  de  misérable 
cancre,  degredin  politique  et  de  grimaud  letlré. 


iI3 


Pa^'ft  32  :     Voilà  /loue  quels  vengeurs  1,'arment  pour  la 
querelle  ! 

—  Ce  n"est  pas  sans  motif  que  l'on  se  fait  syndicataire, 
palabi-a  mon  ami  l'esthète  Purazur,  niài-honiiant  son  neu- 
vième cigare  à  la  porte  du  café. 

Autour  de  nous  Paris  s'abêtissait  devant  la  bière  de 
mars  et  le  bouillon  d'onze  heures,  jetant  de  la  fumée  en 
proférant  des  sentences  négligeables.  Comme  j'acquiesçais 
d'un  air  à  la  fois  entendu  et  somnolent,  il  érigea,  dans  la 
buée  aromatique,  un  poing  démonstrateur.  —  C'est,  dit-il, 
une  question  d'heure  et  de  tempérament.  Au  lendemain 
de  la  dégradation,  vinrent  à  nous  les  premiers  dreyfu- 
sards sur  une  poussée  d'égo-altruisrae  propre  à  leur 
faire  honneur.  Quoi  I  n'élail-ce  pas  assez  d'avoir  infligé 
à  l'innocent  une  telle  misère  ?  Fallait-il  qu'un  Talmeyr 
déchargeât  sur  lui  son  catarrhe  et  qu'.Arthur  Meyer  lui 
lançât  au  visage  le  pied  malpropre  de  ses  bidets?  Plus 
d'une  femme  en  repartit,  émue,  l'entendant  crier  :  Vive 
la  France!  »  et  plusieurs,  hostiles  au  début,  ue  savaient 
que  penser  en  revenant  chez  soi. 

D'aucuns,  mus  par  l'honui  tcté  du  vieillard  Scheurer, 


iU 


A    TRAVERS   LES    GROUI.NS 


se  lireiil  une  lOiiviclion  indéracinable.  Huguenots  et  doc- 
trinaires, ils  suivent  les  comportements  de  ces  marlvrs 
qu'Agrippa  mil  en  vers. 

Puis  ce  furent  les  savants  qui  cherchent  à  comprendre. 
L'Ecole  des  Chartes,  IWcadémie  des  Sciences,  les  labora- 
toires de  chimie  nous  valurent  ces  intellectuels  disciplinés 
aux  méthodes  rigoureuses.  Ils  ont  cherché  et  trouvé,  en 
cherchant,  la  vérité.  Ils  démasquèrent  Eslerhazy  le  vieux 
galantin  et  le  faussaire,  cosméliqué  de  noir  depuis  l'âme 
ju.squ'au  toupet. 

Survint  Zola,  survint  la  généreuse  diatribe  <J'acci(s«". 
Devant  ces  mots  de  flammes,  les  artistes,  les  rêveurs  se 
sont  dressés,  les  uns  pour  la  beauté  de  l'œuvre,  d'autres 
pour  son  audace,  tous,  enivrés  du  souffle  véhément  qui 
gonfle  ces  pages  immortelles.  > 

J'en  connais  qui  se  rallièrent  par  hygiène.  Ceux-là 
craignent  l'odijur  du  ruissean  et  la  vase  du  Jour.  II.?  trou- 
vent Possien  trop  ignoble,  Déroulède  imbécile,  Drumonl 
anthropophage  et  torcheculatif  notre  vieil  «  Oison  d'or  ». 
Le  Beau-frère  les  incommode,  .Millevovc  les  écœure.  Ils 
redoutent  ces  boueux  dont  la  plume  éponssette  l'égout 
et  récure  le  charnier.  Toutes   les  crapules  hors  d'âge 


NOTES  115 

prennent  leurs  invalides  en  ces  papiers  qu'ils  font,  ilu 
cannibale  Guérin  au  père  Vascagat.  Ainsi  est-on  dreyfu- 
sard par  élégance,  loin  des  clairières  maudites  où  les 
vieilles  patriotes,  Gyp,  Bovet  ou  Lucie  Faure  inarmiton- 
nent  la  cuisine  du  drapeau. 

Votre  camarade  Tybalt  prend  ses  raisons  de  la  Bi- 
ble italique  dont  il  fait  —  c'est  Ledrain  qui  l'atteste  — 
son  livre  de  chevel:Exorf,um  est  in  teaebris  lumen  redis, 
dit-il  avec  cette  émotion  véhémente  que  vous  lui  cnn- 
naissez. 

Il  faut,  en  outre,  recenser  les  gens  qui,  mystifiés 
d'abord,  se  targuaient  de  clairvoyance.  La  déposition 
des  experts  les  éclaira.  La  tenue  des  officiers  dégoi.ta 
les  personnes  bien  apprises.  Tels  ont  frémi  ii  la  pensée 
de  Cavaignac  dictateur.  Le  suicide  obligatoire  d'Henry 
ouvrit  les  yeux  du  plus  grand  nombre.  L'ignominie 
antisémite  fit  le  reste.  Je  ne  parle  point  du  Syndicat,  ne 
l'ayant  jamais  rencontré  dans  mes  caravanes,  de  quoi 
vous  me  voyez  tout  à  fait  marri. 

Son  regard  s'éplora  vers  le  hanap   quasi    élanchc.  Il 

vida  la  coupe  de  houblon,  rêva,  puis  brusquement  : 

—  Et  vous,  dit-il,  comment  l'êtes-vous  devenu  ?  —  Moi  I 

10 


1  10  A   TRAVERS   LES   CROCISS 

C'est  bien  simple.  Je  le  suis  da  moment  où  je  connus  que 
Darrès  avait  pris  da  service  dans  le  camp  opposé.  • 


Pape  42  :        VillaneUe. 

Si  j'avais  l'honneur  de  fréquenter  avec  M.  Vervoort,  je 
m'affublerais  sur-le-champ  d'un  scaphandre.  Plongeant, 
comme  .\ristée,  dans  les  hnmides  royaumes,  j'aborderais 
le  candidat  ictiiyoraorphe  des  Grandes-Carrières  et  lui 
dirais  ceci  : 

—  Vervoort,  mon  cher  ami,  vous  fûtes  heureux,  jusqu'.i 
présent,  comme  un  poisson  dans  l'eau  (c'est  le  terme  pro- 
pre). L-a  Fortune,  qui  aime  les  audacieux,  accumula,  sur 
votre  dos  ciuleur  d'espoir,  les  meilleurs  de  ses  dons. 

Fils  d'un  ^'ratie-papier  «i  la  mairie  du  Sixième,  vous 
cnniiûles,  dès  le  foyer,  d'inappréciables  avantages  :  une 
famille  sans  préju}.'ès,  une  sœur  laborieuse  et  dévouée  à 
son  prand  frère,  tout  ce  qui  crée,  ici-bas,  le  b.inheur  do- 
mestique, et  la  riche.s.se.  el  l'éclat  social.  Votre  rc^-le  de 


NOTES  l'l7 

vie  fnt  immuable,  dès  la  première  barbe.  Il  ne  fallait, 
pour  l'inventer,  la  lecture  deKant  ni  celle  de  Hegel.  L'as- 
cèse n'en  impliquait  pas  le  moindre  effort  ;  le  programme 
en  pourrait  tenir  dans  un  couplet  seul  d'Aristide  Bruant  : 

Ma  sœur  est  avec  Eloi 
Dont  la  sœur  est  avec  moi. 
Chaqite  soir,  je  la  refile, 
A  Delleville; 
Comm'ça  f  gagne  2)as  mal  d'braise  : 
Mon  bcau-frèrc  en  gagne  autant 
Qui  refile  ma  sœur  Thérèse, 
A  Ménilmontant. 

D.î  plus,  comme  le  sort  vous  a  traité  en  enfant  chéri, 
ce  n'est  pas  dans  les  quartiers  marécageux  du  Père-La- 
chaise  que  vous  «  reliiez  »  mais  dans  le  Jour,  trottoir 
aussi  bien  famé  que  le  Casino  de  Paris,  avec,  pour  beau- 
frère,  non  pas  un  Eloi  quelconque,  mais  bien  le  marquis 
lui-même,  Henri  de  Roclieforl-Luçay. 

Moitié  chantage,  moitié  escroquerie,  vous  passâtes  con- 
fortablement les  dix  années  tumultueuses  de  la  jeunesse, 
buvant  frais,  mangeant  du  meilleur  et  délectant  vos  reins 


148  A  TRAVERS  LES  GHODINS 

pour  un  juste  salaire.  Vous  alleisnez  à  présent,  s'il  en 
faut  croire  vos  affiches,  la  Irenle-qualrième  année,  point 
culminant  Je  la  vie  humaine  ;  vous  avez,  pour  parler 
comme  une  danseuse  de  mes  amies,»  l'aze  don  bon  Diou  « . 

Eh  bien,  souffrez  qu'on  vous  le  die,  vous  manquez,  dans 
cet  instant  climatérique,  de  mesure  et  d'intuition. Est-ce 
votre  gloire  pendant  l'affaire  Zola  qui  vous  {rrise  de  la 
sorte,  les  poignées  de  mains  de  l'Etat  Major  ou  bien  l'o- 
deur exhalée  par  le  dernier  chicot  de  «  Vllomme  Libre  »  ? 
Toujours  est-il  que  vous  déviez  quelque  peu  de  celte  con- 
duite miraculeuse  qui  fit  de  vous  un  estafier  si  magistral. 
Quelle  lareulnle  vous  a  mordu  que  vous  affrontiez  ainsi 
les  pugilats  électoraux  et  quittiez  votre  bain  de  beurre 
pour  les  gravats  de  la  terre  ferme  ?  L'ovation  que  vous 
ont  faite,  dimanche,  les  électeurs  montmartrois  aura, sans 
doute,  éclairé  votre  esprit  et  dessillé  vos  yeux. 

Vous  comprendrez  combien  dangereuse  l'illusion  qui 
TOUS  tient  de  ne  distinguer  pas  les  fonctions  d'avec  les 
niles  publiques,  de  se  croire  idoine  aux  unes  parce  que 
l'on  a  séché  le  bas  des  autres.  Donc,  revenez  A  vos  chères 
études  que  ne  déséquilibre  aucune  préoccupation  d'intel- 
lectualilé;  car  vous  n'êtes  pas  de  ceux  qui  perdent  leur 


NOTES  14'J 

temps  à  Bi)  reuth,  dans  les  musées  ou  daus  les  bibliothè- 
ques. Prés  jr\ez  avecsoiu  Mademoiselle  votre  peau  des 
horions  et  d:3  amendes  fluviatiles.  Gardez  que  nulle  ava- 
rie n'entame  un  capital  si  précieux. 

Vos  affiche:  tricolores  donnent  au  pont  Caulaincourt 
un  fau.T  air  de  porcelaine,  divertissent,  depuis  assez  long- 
temps, les  macchabées  du  cimetière.  Voici  l'heure  de 
suspendre  les  frais  et  d'assumer  derechef  votre  nuance 
quidditive.  L'azur  seul,  mon  cher  Vervoort,  l'azur  et  l'ou- 
tre-mer  glacés  d'un  peu  de  rose  avec  beaucoup  d'argent, 
d'après  la  formule  que  donnent  ceux  de  Dieppe,  les  plus 
généralement  estimés. 


Page  44  :     Villanelle. 

M.  Vervoort,  candidat  ichtyomorphe,  en  même  temps 
que  journaliste  pisciforme,  nous  procure  aujourd'hui  l'hu- 
midité de  sa  fréquentation.  L'époque  est  bien  choisie, 
car  voici  le  beau  temps  et  la  saison  des  bains  de  mer.  Il 
sied  d'avoir  des  amis  partout. 


loO  A    TRAVERS   LB3   GR00IN3 

L'on  roanait  combien,  depuis  Amphiou,  les  honinips 
doirenl  de  secours  aux  hôtes  écailleux  et  dévoués  de  l'an- 
tique Océan.  Je  rêve,  non  sans  quelque  vanité. que,  j-Tàre 
à  la  présentation  de  maître  Désiré  Bourjîoinl,  Vervonrt 
m'exiraira,  peut-être,  d'un  bain  malencontreux,  me  ra- 
mènera, cet  été,  vers  la  baie  de  Douarnenez  ou  la  cote 
il'Hendaye,  entre  le  <iel  d'azur  et  l'onde  cérulée,  à  cali- 
fourchon sur  sa  croupe  de  myosotis. 

Le  blacboulé  des  Grandes-Carrières  —  Vervoort  qui  lit 
la  sienne  d'avoir  une  cadette  bien  en  chair  —  monlic 
peu  de  philosophie  devant  les  rijiueurs  du  suffrage  uni- 
versel. Renonçant  au  mutisme  spécifique,  il  confabule  o;i 
du  moins  invite  à  fabuler,  en  son  lieu,  maints  huissiers  de 
Paris.  Philippe  Dubois,  Le  Pic,  Ibels  et  moi-même,  mes- 
sieurs, sans  nulle  vanité,  ceux  que  divertirent  ses  ébats  ma- 
ritimes, ceux  qui  lui  donnèrent  une  place  dans  leurs  vers, 
leur  prose  ou  leurs  croquis,  ont  éprouvé  le  phénoraène. 
Oui  Vervoort  a  proféré  des  sons  et  Toilà  un  miracle  liieii 
iJoine  à  déprécier  l'ànesse  de  Balaam. 

El  pour  comble  d'horreur  les  [lape]reaux  parlèrent! 

Nous  l'avions  ouï,  déjh,  pousser  maintes  bulles  et  don- 
ner des  nageoires  devant   l'autel  de   Domromy.  Jwinne 


NOTES  131 

d'Arc  raguiche  ciiormémeiit.  Entrepreneur,  comme  il  est, 
de  travaux  féminins,  il  souffre  de  voir  si  longtemps  inem- 
ployé ce  capital  historique. 

Volontiers,  il  épouserait  Jeanne  et  fouJerait,  avec  son 
aide,  une  maison  de  rapport. 

Hélas  Iles  gens  de  Clignancourt  n'o;it  pas  compris  ces 
choses.  Ils  apportaient  des  cannes  à  pèche  aux  symposium 
tricolores  du  bel  André.  Vervoort  criait  :  «  Vive  Varméel  « 
les  assistants  répondaient  en  chœur  :  «  //  arriuel  »  tant 
le  respect  réussit  mal  aux  pieds  du  Sacré-Cœur.  Le  joli 
gars  fut  interloqué.  Il  en  ronchonne  même  encore,  si 
j'ose  m'exprimer,  n'ayant  pas  la  haine  adroite  et  scrofu- 
leuse  de  son  compère  de  Nancy.  Barrés,  dont  le  torse  pa- 
reil à  un  hec  de  gaz,  l'estomac  dyspeplique  et  la  tète  de 
châtré  ne  font  pas  un  Roméo,  distille  intérieurement  sa 
bile  ;  mais  Wervoort,  Greluchon  irrésistible,  le  seul 
homme  qui,  d'après  un  mot  connu,  doive  le  Jour  à  sa 
sœur,  n'a  point  celte  fermeté  d'âme,  ni  la  suppuration  in- 
térieure, ni  le  fiel  résorbé  qui  fait  l'Intellectuel  empereur 
des  envieux. 

Il  nous  traJue  devant  cette  vieille  Thémis  qu'il  pren- 
drait volontiers   pour  sous-maitresse.  Espérons   que  cela 


i52  A   TRAVERS   LES   CR0LIN3 

réussira!  Grâce  aux  libéralités  dn  Syndicat,  aux  gaiioiis 
que  le  Traître  uous  envoie  hebdomadairement  de  son  iie, 
nous  paierons  volontiers  les  vingt  sols  qu'il  réclame. 

Les  curés  de  Tarbes,  moins  discrets,  sollicitaient  niiilu 
francs  par  grouin.  Or,  ils  étaient  quatre  cents,  tant  il  est 
vrai  que  le  plus  marécageux  des  laïques  l'emporte  encore 
sur  le  meilleur  des  clercs! 


Page  61  :  Et  monsieur  Deschanel  à  les  senir  est  prompt. 

On  voudrait,  pour  la  raison  comme  pourla  pudeur,  iiu'- 
dire  ici  de  M.  Paul  Deschanel:  mais  la  chose  ne  se  peut. 
Il  n'est,  sur  son  compte,  ni  bien  ni  mal  à  exprimer.  C'est 
le  néant  sans  phrase,  le  vide  absolu.  Il  préside  la 
Chambre  où  nul  de  ses  prédécesseurs  n'aura  incarr.é  au 
même  degré  la  médiocrité  des  Assemblées  délibérantes.  Il 
a  tout  ce  «[u'il  faut  pour  complaire  à  Judet,  éblouir  .Ar- 
thur Meycr  et  délecter  la  rue  Saint- Dominique.  Imaginez 


NOTES  153 

uue  tôle  de  cire  à  la  moustache  grotesquement  troussée, 
un  gamin  défraîchi  qui  muguette,  caracole,  bavarde  et 
politiquaille,  un  dadais  folâtre,  nonobstant  la  quarantaine 
plus  que  sonnée,  lequel,  tout  en  folie,  descend  de  sa  cravate 
blanche  pour  histrionner  dans  les  «  salons  ».  J'eus,  il  y  a 
quelque  six  ans,  l'incomparable  amusement  de  dîner  à 
ses  côtés.  Soit  que  M°"  Gauthereau,  plus  surhumaine 
(est-il  possible?)  qu'à  l'accoutumée,  eût,  ce  jour-!à, 
multiplié  sa  verve,  soit  que,  de  janvier  à  décembre,  il 
caracole  de  même,  le  garçon  déploya  tous  ses  moyens. 
Impossible  d'être  plus  fade,  plus  griset  et  de  compagnie 
plus  boutiquière.  Le  pédantisme  hilare  du  Sorbonaard 
avecje  ne  sais  quoi  du  perruquier  en  belle  humeur,  tel  se 
fait  voir  le  Deschanel  quand  il  pommade. 

On  le  tient  pour  «  extrêmement  distingué  »  dans  les 
milieux  qui  ne  le  sent  point .  c'est  un  daudie  manufacturé 
par  sou  tailleur. 

L'écrivain,  l'orateur  sont  de  même  envergure.  Articlier 
pour  revues  académiques,  il  a  médiocrement  approfondi 
les  éludes  faciles  qui  lui  permirent  de  devenir  un  sous- 
Hauolaux.  Comme  Prévost-Paradol  (qui,  du  moins,  avait 
une  àme  et  de  l'esprit),  il  publiera  sans  trêve,  des  Mé- 


toi  A  TRAVER<  LES  GKOrlNS 

langes  d'abord,  puis  de  nouveaux  Mélan^'cs,  dont  un  édi- 
tear  posthume  fera,  seul,  paraître  les  derniers. 

Fils  d'un  proscrit,  M.  Paul  Deschanel  vint  au  monde 
(en  181)6,  l'adolescent  I)  pour  y  tenir  l'emploi  de  fils  à  son 
père.  Ce  père,  brave  homme,  dit-on,  mais  le  plus  inepte 
qui  soit,  rabâcha  toute  sa  vie  d'effroyables  sornettes.  Les 
collégiens  lisent  encore  son  Histoire  rie  l'amour  dans  t'an- 
liquitè,  heureux  d'apprendre  que  la  sodomie  n'est  point 
Un  apanage  exclusif  de  Jean  Lorrain  et  de  Pierre  Loti. 

Paul  Deschanel  l'ut  un  des  cent  mille  jeunes  gens 
qui,  sous  couleur  d'études  libérales,  se  destinent  au  pou- 
voir. Tout  d'abord  il  exerça  la  verve  à  ras  du  sol  qu'il  lient 
de  la  nature,  une  faconde  bête  de  calicot  fashionable, 
dans  ce  qu'ilconvient  de  nommer  l'autopédagogie  gou- 
vernementale. 

<  Etre  médiocre  avec  éclat  >  :  le  mot  des  Gnncourt  sem- 
ble la  devise  toute  faite  de  cette  catégorie  d'ambitieux. 
La  plupart,  sortis  de  maisons  ultra-bourgeoises,  apportent 
dans  le  maniement  des  élégances  l'air  agréable  de  cet 
émigré,  vu  par  Chateaubriand,  qui  s'était  fait  raaitre 
à  danser  chez  les  Iroquois.  .M  Deschanel  a  étudié  la 
rhétorique  parlementaire.  Il  ne  sait  même  que  cela,  car 


^OTES  155 

ses  lectures  n'ont  jamais  eu  la  connaissance  pour  objet.  11 
n'a  jamais  ouvert  un  bouquin  par  curiosité,  par  besoin  de 
savoir.  C'est  un  scholar  qui  hante  les  bibliothèques,  y 
cherche  des  citations  oratoires,  des  textes  propres  à  coller 
Jules  Guesde  ou  Karl  Marx.  S'il  avait  été  capable  de  lire 
autrement,  s'il  n'était  pas  le  produit  synthétique  et  re- 
présentatif du  néant  fomenté  par  les  grandes  Ecoles  —  ua 
navet  pour  tout  dire,  et  de  la  moins  savoureuse  espèce  — 
il  neinéconnaitraitpas  les  origines  françaises  du  socialisme 
qui,  par  Vauban,  Quesaay,  l'abbé  de  Saint-Pierre,  Mably, 
Rousseau  et  tous  les  philosophes  du  xyiii":  siècle,  sans 
omettre  Voltaire  ni  Montesquieu,  ni  Louis  XVI  lui-même, 
qui  parlait  aussi  bien  que  .Marat  de  sa  «  vive  sensibilité  », 
nous  arriva  dans  les  gloses  de  Saint-Simon,  d'Auguste 
Comte,  de  Fourrier,  —  de  tous  les  rationalistes  contem- 
porains. 

Ajoutez  à  cette  culture  l'âme  la  plus  servile,  une  défé- 
rence nègre  pour  l'ordre  établi,  et,  brochant  là-dessus, 
l'infatualion  du  quidam,  généralisée  comme  un  eczéma 
le  long  de  sa  personne. 

M.  Paul  Deschanel  est  un  sot.  Mais  la  politique,  dont  il 
est  certes  le  plus  mince  infusoire,  ne  manque  ni  d'assises 


ViO  A   TRAVERS  LES   GRODINS 

ni  de  gravité.  C'est  ane  île  de  corail,  encombraDte  et  dan- 
gereuse, un  récif  mortel  aggloméré  par  des  poux.  Kelircr 
le  pouvoir  du  peuple  aux  assemblée^',  des  assemblées  aux 
cabinets,  c'est  toute  leur  méthode,  leur  machiavélisme. 
La  parole,  en  ce  cas,  n'est  plus  qu'un  narcoliquc,  un 
stupéfiant  que  reveut  d'administrer  à  la  France,  par  l'en- 
tremise de  tels  Jeunes  faiseurs,  les  vieux  partis  ralliés  sous 
le  drapeau  des  intérêts  matériels.  La  turpitude  contempo- 
raine a,  dans  M.  Paul  Des'hanel,  sa  plus  récente  et  ca- 
ractéristique épiphanie. 

Que  représente  en  efTet  ce  Benjamin  du  Deux-Décem- 
bre, ce  (ils  de  proscrit  acclamé  par  tous  les  rétrojirades, 
sinon  les  capitalistes  du  blé,  la  tyrannie  agraire  ?  Il  sera 
le  Lycurgue  d'une  loi  inique,  la  surtaxe  de  sept  frams. 

Voilà  bien,  d'ailleurs,  la  seule  chance  qu'il  ait  d'entrer 
jamais  au  Temple  de  .Mémoire.  Le  mépris  et  la  haine  con- 
servent leurs  élus,  tandis  que  le  secret  diplomatique,  les 
intrigues  de  couloir,  les  ignominies  judiciaires,  et  sa  ma- 
nie oratoire  et  s  >n  éloquence  pour  distributions  de  prix 
ne  pourraient  exonérer  .M.  l'aul  Deschanel  de  la  platitude 
congénitale.  Mais,  comme  il  le  dirait  lui-même  en  style 
prudbommesque,  le  parlementarisme  est  une  arène  où  se 


N0TE9  157 

viennent  four  à  tour  exercer  les  gredins  et  les  pieds-plats. 
Heureux  qui  se  distingue  par  quelque  maladresse  inouïe! 
Heureux  qui  détériore  la  justice  et  met  un  deuil  nouveau 
parmi  ieshommes.il  connaîtra  le  renom  de  Montgommery, 
qui,  sans  fiel  ni  traîtrise,  bouhourdason  adversaire,  trans- 
perça d"une  écharde  le  front  aimé  de  son  protecteur  et 
de  son  roi.  A  moins  que  désenchanté  par  la  soixantaine  et 
les  rides  approfondies,  M.  Paul  Deschanel,  après  di.t  ou 
douze  ans,  ne  reprenne  un  métier  congruant  à  ses  apti- 
tudes :  coiffeur  pour  dames,  par  exemple,  ou  régisseur 
d'un  théâtre  enfantin. 


Page  55  :    Ballade  pour  magnifier  le  cerveau  chef. 

Le  premier  vers  du  poème  ci-dessus  donna  lieu  à  un 
envoi  de  témoins  à  l'auteur  par  M.  Ernest  Lajeunesse 
Et  motiva  la  rencontre  enregistrée  dans  les  procès-verbaux 
suivants  : 

«  La  main  droite  de  AL  Laurent  Tailhade  n'étant  pas 


1.">S  A    TniVKRS   LES   GROCINS 

encore  complèlemenl  guérie,  les  lémoiiis  de  celui-ci  ont 
déclare  à  MM.  Joseph-Renaud  et  Jean  de  Milty  que  leur 
client  désirait  se  battre  de  la  main  pauclic. 

«  Après  en  avoir  référé  à  leur  client,  MM.  Josepb- 
Renaud  et  Jean  de  Mitty  ont  accepté. 

•  Ils  ont  d'ailleurs  informé  MM.  Ph.  Dubois  et  Le  Pic 
que,  par  courtoisie,  .M.  La  Jeunesse  tirerait  aussi  de  l.t 
main  gauche. 

«1  Le  combat  sera  dirigé  par  M.  Joseph-Renaud. 

Pour  M.  Laurent  Tailliade  :        Pour  M.  E.  Im  Jeunesse  : 
Pu.  Dubois.  Joskpb-Rexacd. 

Le  Pic.  Jean  de  Mitty. 

De  Paris,  le  18  de  janvier. 

«  Le  combat  eut  lieu  conformément  aux  conditions  ci- 
dessus, 
t  Quatre  balles  ont  été  échangées  sans  résultat. 

•  Les  docteurs  Edmond  Vidai  et  Jacomet  assistaient 
les  adversaires. 

Pour  M.  E.  La  Jeunesse  :         Pour  M.  Laurent  Tailliade: 
Josf.pii-RENAcn.  I'm.  Dubois. 

Jean  de  Mittv.  Le  Pic. 


NOTES  159 

«  A  la  liQ  du  combat,  d'un  mouvement  spontané, 
M.  Laurent  ïailhade  et  M.  Ernest  La  Jeunesse  se  sont 
offert  la  main.  » 

Le  Journal,  2/i  janvier  1899. 


Pa^îe  64  :    Pour  toi,  Gucrin  frappe,  Thiéhaud  nasille- 

Un  petit  homme,  épais  moins  que  bouffi,  avec,  dans 
toute  son  allure,  quelque  chose  de  ces  grotesques  en 
baudruche  par  quoi  les  aéronautes  éprouvent  l'almos- 
phère.  Les  yeux  étroits,  d'un  noir  sans  flammes  et  sans 
larmes,  ont  l'air  découpés  dans  les  matières  les  plus 
inertes.  Une  lace  poupine  d'adolescent  monté  en  graine, 
la  voix  d'un  difeur  de  riens  et  les  façons  d'un  conims, 
tel  d'abord  apparaît  Georges  Thiébaud.  De  la  lêle  aux 
pieds,  la  vulgarité  l'estampille.  Ce  serait  le  «  Monsieur 
Quelconque  »  d'Herman  Paul,  si  le  néant  qu'il  représmte 
ne  l'avait  fait  à  son  image  et,  par  l'accumulation  des 
négatives,  doué  d'une  espèce  de  physionomie. 


ICO  A    TRAVERS    LES    GR0UIN3 

Ce  n'est  pas.  comme  l'ex-député  de  iNaiicy,  un  avor- 
ton malsain,  un  fœtus  arraché  avant  terme,  il  n'a  pas 
le  dos  voûté,  l'eunucliisme,  l'indi^'euce  pileuse  de  Bar- 
rés. Il  n'en  a  pas  non  plus  la  méchanceté  froide,  l'élé- 
gance rastaquouère,  le  manège,  l'impudent  égoïsnie,  — 
l'ambition  forcenée  inhérente  aux  castrats.  Si  sa  vie  publi- 
que est  celle  d'un  marchand  de  contre-marques. 

Il  semble  à  qui  l'approche  capable  de  scnlimcnls  hu- 
mains, d'une  bonté  sans  élévation,  de  modisic  ou  de  bu- 
reaucrate. Ses  gestes  d'un  collégien  que  faii^'ue  la  crois- 
sance ne  manquent  de  rondeur  ni  de  cordialit".  Chose 
inconnue  à  {'Ennemi  des  lois,  Thiébaud  a  de  la  barbe 
avec  de  belles  dents. 

Ce  n'est  pas  un  monstre,  c'est  un  inachevé.  Le  nez  pe- 
tit, mollasse  trop  loin  de  la  bouche,  surprend  par  sa  can- 
deur, par  son  indécision.  Le  fashionable  d'Edgard  Poë 
eût  ajouté,  pour  ce  nez-là,  un  chapitre  à  sa  JVaséaulogie. 
C'est  le  nez  badaud,  élastique,  insurrectionuel  du  gavruuhc 
parisien,  le  nez  du  mitron  suiveur  d'émeutes.  Les  carti- 
lages en  sont  restés  mous.  Nulle  yolonté  ne  l'ossific.  Il 
est  le  trait  essentiel,  la  marque  physiognomonique  d'un 
subalterne  que   nul    cataclysme    ne  saurait  affiauchir. 


NOTES  161 

Tliiébaud,  négligé  dans  se.  mise,  est  vraiment  l'homme  à 
tout  faire  qui  prend  ses  nippes  chez  la  Belle  Jartlinière 
et  ses  idées  chez  le  fruitier  du  coin. 

Les  hasards  l'ont  fait  politicien.  Il  pourrait,  avec  la 
même  gloire,  exercer  n'importe  quelle  fonction  d'ordre 
misérable.  Clerc  d'avoué,  pédicure,  intijiidant  de  prince 
nègre  ou,  comme  disait  Hervé,  «  surveillant  du  gaz  dans 
une  riche  famille  péruvienne  »  —  colleur  d'affiches  ou 
candidat,  on  ne  l'imagine  point  hors  de  l'office,  des  po- 
tins et  de  la  domesticité. 

Ce  fut  proprement  l'innéité  ancillaire  qui  détermina  son 
orientation  vers  le  boulangisme.  Il  se  vante  à  présent  d'a- 
voir créé  le  •  Prétorien  de  cirque  '.  Mais  cette  gasconnade 
funèbre  n'en  saurait  imposer  à  quiconque.  Il  a  suivi  en 
larbin,  non  précédé  en  éclaireur,  la  grande  mascarade. 

Napoléon  III  fut  le  César  des  riches  propriétaires,  de 
l'armée  et  du  clergé;  Gambetia  le  dictateur  des  ronds - 
de-cuir,  des  marchands  de  vins  et  des  officiers  d'acadé- 
mie. Boulanger,  à  son  tour,  connut  l'omnipotence.  Il  ré- 
gna sur  les  camelots  de  l'une  et  l'autre  rive.  Georges 
Thiébaud,  qu'entraînait  son  penchant  naturel,  suivit  éper- 

dument  ce  roi  des  Halles.  Chassé  par  le    comité  boulan- 

11 


1G2  A  TBAVERS  LES  GBOLINS 

gislp,  il  échappa  au  krack  dernier,  h  la  tragédie,  au  ci- 
metière d'Iielles,  à  toute  cette  fin  de  roman,  si  louchante 
qu'elle  efface  presque  les  hontes  du  général  <  Sapoire  ». 
El  voici  où  l'instinct  de  Thiébaud  le  sert  miraculeu- 
sement :  un  flair  de  mercanti  le  poussant  aux  besognes 
sordides,  il  revendique  pour  autrui  l'ergaslule,  son  habita- 
cle naturel.  Ses  articles  chez  Arthur  Meyer —  Meyer  qui 
connut  aussi  l'étal  de  chambrière  et  rinça  les  porcelaines 
nocturnes  de  Blanche  d'Antigny  —  ses  articles  du  Gauloia 
montrent  bien  les  deux  tendances  du  pâtissier  révolulimi- 
naire  et  du  larbin  soumis  qui  se  partagent  l'intellect  em- 
bryonnaire de  Thiébaud. 

Comme  tous  les  minus  habentes,  le  candidat  patriotaril 
de  Vaucluse  regorge  de  vénération  pour  l'uniforme,  de 
sentiments  grandiloques  et  de  chrétienté.  A  nous  qui  tra- 
vaillons, cherchant,  d'une  àme  inTatigable  à  penser 
juste,  à  vouloir  haut,  il  reproche  le  scepticisme,  le  man- 
que de  croyance  et  tout  ce  qu'il  vous  plaira.  Ur  Thiébaud 
qui  est  un  genre,  Thiébaud  pareil,  en  cela,  comme  en 
loole  ch3se,  à  la  caste  invertébrée  qa'il  représente,  Thié- 
baud ne  croit  et  ne  peut  croire  à  rien.  Il  Tcnèrc  les  ga- 
lonnés, sous  le  dulmaii  du  sabreur  ou  la  chappe  de  l'évé- 


NOTES  16S 

que.  Il  salae  et  s'aplatit.  Il  défère  aux  superstitions  mais 
ne  saurait  couuaitre  ce  que  Michelet  nomnia  la  <  foi 
profonde  ». 

Quand  il  incrimine  le  scepticisme  libertaire  il  semble 
qu'on  entende  un  visage  de  cire,  maquillé,  fardé  et  rac- 
crocheur,  alléguer  que  le  sang  rouge  et  libre  colore  in- 
suffisamment la  peau  —  que  la  vie  est  bien  inférieure  à 
l'art  des  perruquiers. 


Page  71  :    Quaiorzain  d'hiver. 

M.  Jean  Rameau,  poule,  nous  fil  tenir  à  l'Aurore  le 
message  que  voici  : 

Monsieur  le  direct eur, 

Ce  m'est  toujours  une  grande  joie  de  constater  que  mon 
brave  ami,  Laurent  Tailhade,  ne  m'oublie  pas.  Jadis,  il 
m'écrivait  des  lettres  inquiétantes,  où  il  me  donnait  du 


lt)l  A  TRAVF.ns  I,ES  GROIIINS 

«  clicr  confrère  en  Apollo  »  et  me  dédiait  ainsi  des  livres: 

«  Au  poète  Jean  Rameau,  hommage  de  sympathie  cl 
d'estime  artistique.  » 

J'aimo  autant,  à  vrai  dire,  qu'il  m'accuse  de  ne  pat: 
être  «  joli,  joli  »  cl  même  de  «  monter  en  oranihus  ». 

M.  Tailhade,  si  j'ai  bonne  mémoire,  n'avait  pas  alors 
!,M-and'ch03c  de  commun  avec  l'Antinous  ;  mais  depuis, 
heureuse  victime  d'un  beau  geste,  son  visage  s'est  arrangé 
^an3  doute,  et  c'est  ce  qui  lui  donne  le  droit  de  nous  écra- 
ser de  sa  plastique.  Proclamons  donc  sa  beauté  de  bonne 
grâce. 

Une  autre  de  ses  amabilités  consiste  à  me  reprocher 
les  écus  que  me  vaudrait  la  lécilatlon  de  mes  épodes. 
Cette  légende  me  flatte  trop  pour  que  je  la  détruise  moi- 
même. 

Remerciez,  je  vous  prie,  M.  Tailhade  de  l'avoir  accré- 
ditée et  dites-lui  (|ue  je  reste 
Son  très  reconnaissant 

Jean  Rameau. 

En  présence  d'une  protestation  si  courtoise  et  spiri- 
tuelle, nous  oiïrinies  des  excuses  au  poète,  spuutauémcut. 


ir.5 


Il  a  parlé,  le  gens  irritable,  Rameau, 

Plus  notoire  que  Géraudel  ou  que  Momo. 

Pour  m'habiller  d'opprobre  et  me  faire  la  nique 

Il  a  de  son  esprit  mù  la  pyrotechnique, 

El  cela  fait  penser  à  Clianipcenetz.  Or,  donc 

J'en  tiens  au  flanc  :  car  il  me  conteste  le  don, 

Cher  à  Loti,  cher  à  Cypris,  cher  à  Liane, 

D'être  beau  comme  Ernest  la  Jeunesse  ou  la  cane 

De  Montesquieu.  Pourquoi  mes  parents  m'onl-ils  fait 

Bancroche,  nasitord,  punais  et  contrefait 

(Gela  est  bon  pour  yous  induire  en  parricide) 

Jusqu'au  point  que  Claudicator  —  combien  acide. 

M'incrimine  pour  un  défaut  de  vénusté. 

En  vers  simples,  en  vers  confits  d'humilité. 
J'éloignerai  de  moi  cet  exemple  funeste. 
Adonc,  je  me  rétracte  et,  fuyant  comme  peste 
Les  ccncetti,  les  agudas,  le  calembour, 
Je  déclare  que,  de  Nante  à  Christraas-Harbour, 
Rameau  tient  le  record  des  beautés  familières. 


160  A   TRAVERS   LES   GROUINS 

S'il  boilc,  c'est  à  la  façon  de  La  Vallièrc  : 

El  le  dernier  morceau,  gloire  d'un  tel  cerveau, 

Son  billet  est  si  beau  que  l'on  dirait  du  veau. 


Page  75  :    Canriidals  à  l'immortalité. 

«  Les  poètes,  disait  Rivarol,  sont  pourla  plupart  comme 
les  rossifîiiols  :  ils  ont  reru  leur  cerveau  en  gosier.  • 

Ceux  d'aujourd'hui,  les  poètes  qui  débitent  le  macaroni 
des  rimes  riches  ou  le  fromage  mou  du  vers  libre  ;  les 
sexagénaires  du  Parnasse  et  les  petits  vieux  du  dccadisme, 
n'ayant  plus  ni  cerveau  ni  gosier,  semblent  avoir  subs- 
titué à  ces  organes  un  moignon  qui  les  remplace  :  de 
même  le,  proboscide  éléphantin  joue,  en  même  temps,  la 
bouche  et  les  dix  doigts.  C'est  le  goût  de  la  réclame  ; 
c'est  la  trompe  de  la  renommée,  une  trompe  qui  jamais 
n'éprnnva  de  saipyngitfi  et  oii  bavent  sans  relâche  les 
plus  éliiinlés  nigauiis. 


fioTEs  137 

Un  mercaiili  de  littérature  industrielle,  néjîociant  en 
contremarques,  et  gargotier  en  chef  d'une  revue  sans 
nom,  M.  Léon  Deschamps  (si  j'ose  m'esprimer  ainsi) 
Deschamps  le  vrai,  le  seul,  le  Géraudel  ;  celui  qui,  sous 
couleur  de  banquets  esthétiques,  vendait,  naguère,  pour 
dix  francs,  aux  gens  de  lettres,  un  dîner  de  trente  sols, 
partageant  la  plus-value  avec  un  cafetier  du  boulevard 
Michel  ;  Deschamps  qui  vécut  —  telle  une  ptomaïne  —  du 
cercueil  de  Baudelaire,  s'ingénia,  voici  quelques  années, 
d'une  invention  merveilleuse. 

Paul  Verlaine  traînait  encore,  dans  les  estaminets  de 
la  rive  gauche,  sa  gloire,  ses  douleurs  et  sa  déréliction. 
Touché  par  le  démon  de  l'ivrognerie,  le  pauvre  Chouletle 
agonisait.  Déjà,  les  a(  arus  du  poème  et  les  sarcoptes  de  la 
chronique  choisissaient  leur  morceau  du  cadavre  futur, 
préludant  à  cette  curée  de  vermines  où  le  comte  Robert 
de  Montesquieu  embrassa  Bibi-la-Puréc. 

Deschamps  alors  imagina  de  faire  consacrer  la  gloire  de 
Paul  Verlaine  par  les  chansonniers  qui  batifolaient  nui- 
tamment au  Soleil  d'Or. 

Joseph  (^.anquetau  sacra  «  Lélian»  prince  des  Poètes 
sur  l'air  du  Père  la  Victoire.  Buffalo  voua  au  maître  quel- 


les  A   TRAVERS    LTS   GROCINS 

(lues  hymnes  dclicieD:^  ordieslrés  à  la  manière  de  Polin. 

Ovations  plutôt  modestes.  Les  lampes  Popp  du  caboalot 
seules  éclairèrent  ce  triomphe  ;  les  pipes  grésillantes  ser- 
virent d"oiicensoir  au  nouveau  Pétrarque.  Gazais  même  fui 
l'unique  Ciniabuë  qui,  pour  les  âges  à  venir,  consigna 
l'apothéose. 

Verlaine  mort,  l'invention  fit  tache  d'huile.  Ocschamps 
avec  sa  Plume  interrogea  les  volailles  dont  elle  était  sor- 
tie. Moréas,  le  marchand  de  kakaouets,  perruche  de  Ron- 
sard et  sansonnet  de  Malherbe,  otTrit  sa  pacotille  aux 
peuples  ébaubis,  héritier,  avec  son  ami  Maurras,  de  la 
gloire  Vendônioise,  l'un  en  ayant  pri«  les  vocables,  Tautrc 
la  surdité. 

Ces  Cornibus  de  la  chose  rimée  imposèrent  à  l'auteur 
à'Ilérodiade  un  pavois  métaphorique  dont  ils  pensaient 
bien,  quelque  jour,  faire  leur  chaise  percée.  Maurras  en- 
tend par  le  nez  ;  Moréas  ne  rime  que  sur  cahiers  de  bon- 
nes expressions;  mais  ils  ont  pour  eux  Barrés,  Barrés  de 
la  tribu  des  édentés.  Barrés  qui,  n'ayant  ni  la  barbe 
ni  les  dons  qu'elle  implique,  aime  servir  de  duègne  aux 
plus  notoires  fausses-couches. 

Si  hâtif,  le  deuil  de  .Mallarmé  revêt  de  crêpe  nos  mé- 


NOTES  ie9 

moires  et  nos  cœurs  :  les  histrioDS  de  cimetière  repren- 
nent déjà  sur  son  tombeau  leurs  pantalonnades  sacrilèges. 
On  interviewe  quiconque  tient  une  plume,  un  crayon, 
pour  connaître  son  avis  touchant  les  mérites  comparés  des 
gentilshommes  à  hémistiches.  Les  jeunes  poètes  de  qua- 
rante ans  éprouvent  de  rechef  les  sensations  du  premier 
rendez-vous.  Leurs  cœurs  palpitent  comme  une  tourte- 
relle malade  à  l'imagination  de  se  voir  élus. 

Pensée  inégalable  de  Deschamps  1  Nous  avions  déjà  la 
première  encre,  le  plus  éminent  charcutier,  les  meilleurs 
journalistes  et  la  plus  sévère  proxénète  de  Paris.  Vexilla 
régis  prodeunt  !  voici  venir  aussi  le  Prince  des  poètes, 
garanti  sur  facture  par  une  demi-douzaine  de  banquistes, 
par  un  escadron  inégalable  d'idiots  ! 


Page  76  :  El  ceux  dont  les  neuraslhéniqnes  mucilages 

Pour  monsieur  de  Vogue  sont  emplis  d'agrément. 

C'est  vraiment  un  joli  garçon  —  patron  de  modes  néo- 
chrétiennes,  de  bafouillage   salonnier,  que  Molchior  de 


ITO  A    TRAVERS   LÉS   GROUINâ 

Vogué,  académicien  départemental,  journaliste  à  la  gui- 
mauve et  commis  voyageur  pour  Tolstoï,  dans  les  milieux 
distingués.  Hobereau,  parti  de  son  Ardèche  à  la  conquête 
des  intelligences,  il  a  couru  le  vaste  monde.  Les  paysa- 
ges, les  mœurs,  les  cités  et  les  plaines,  les  golfes  et  les 
cimes  ont  défilé  à  ses  yeux.  H  a  promené,  du  couchant 
au  ponant,  sa  cervelle  d'oiseau,  ses  doctrines  de  collège, 
ses  élégances  de  coiffeur,  sans  que  tant  de  milieux  divers, 
(le  spectacles  inouïs  aient  conféré  à  son  écriture  le  moin- 
dre vestige  de  couleur  ou  de  passion. 

l'ne  ti'te  embryonnaire,  un  fœtusdedandie  échoué  dans 
le  figarisme,  la  iillérature  slave  et  autres  balivernes;  un 
de  ces  confesseurs  laïques  préposés  à  la  direction  des 
vieilles  dames  qui,  «  pour  se  consoler  de  leurs  llueurs 
blanches,  font  de  la  musique  religieuse  •,  tel  apparaît 
le  sieur  Vogiié.  11  se  targue  d'avoir  initié  la  Fram-e  aux 
beautés  de  l'alliance  russe  :  nul,  en  effet,  n'a  plus  tar- 
tiné, plus  bètiGé  que  lui  sur  Gogol  et  sur  Pouskine,  <nr 
Piscmskift  Goncharoff.  C'est  la  mouche  du  traîneau,  le 
lianneloii  de  la  Neva,  le  dwornik  de  Dostoiewsky. 

L'.\cadémie  a  consacré  tant  d'élégance.  Pour  jouer 
Renan  dans  les  châteanx  de  province,    .Melohior  affecte 


NOTES  l7t 

des  airs  penchés,  une  grâce  élégiaque  de  blonde  romanti- 
que. Dans  lo  inonde  spécial,  où  son  conlrère  Loti  recrute 
des  frèryves,  on  ne  manquerait  pas  de  lui  infliger  des  sur- 
noms tels  que  La  Fleur  fauchée  ou  la  Môme  cold-cream. 

Un  personnage  de  cette  onction  ne  peut  manquer  d'offrir 
quelques  dragées  aux  caporaux  qui  nous  gouvernent. 
Hier,  il  sucrait,  dans  le  Figaro,  une  tartine  vermineuse  à 
la  louange  des  armées.  Incroyable  effet  du  pantalon  rouge 
sur  les  vieilles  lymphatiques  ;  Vcgiié  peuple  deux  colonnes 
et  demie  avec  tant  d'aisance  qu'il  continuerait  jusqu'au 
leuderaain  si  les  nécessités  du  tirage  n'enrayaient  sa  fa- 
conde. 

Il  aune  parole  émue,  un  verbe  enthousiaste,  un  «  con- 
tinuez »  pour  chaque  nègre  de  l'État-Major.  Les  officiers, 
dit-il,  sont  «  astreints  à  des  travaux  savants  ».  Il  entend 
par  là,  sans  doute,  les  patenôtres  de  Boisdeffre,  les  revues 
d'astiquage,  les  tables  tournantes  du  Paty  de  Clam,  les 
mensonges  de  Pellieux  et  l'espionnage  teuton  d'Estherazy. 

"  La  règle  de  ces  moines  •  qu'il  admire,  avec  •  le 
public  de  Coppée  »,  autre  bonnet  à  poil  flanqué  de  pal- 
mes vertes,  l'attendrit  jusqu'aux  rognons.  De  fait,  celte 
règle  qui  comprend  la  vie  de  café,  l'alcoolisme,  le  bac- 


172  A  TRAVF.R3  LES  GROflNS 

carat,  le  lieu  d'hoimeur  pour  Jes  roturiers,  la  sottise  et 
les  intrigues  mondaines  pour  les  vicomtes  de  Saint-Cyr, 
imprime  un  caractère  indélébile  à  quiconque  l'exerça 
pendant  un  lustre  ou  deux.  C'est  à  'vrai  dire  une  ascwe 
merveilleuse  d'ignorance  et  de  brutalité. 

Vogiié  en  proclame  les  résultats  : 

Il  Par  cela  seul  (l'Armée)  nous  avons  chance  de  vivre, 
de  continuer  nous  et  nus  enfants,  se  dit  le  peuple.  > 

Le  peuple  a  bien  raison,  instruit,  comme  il  fut  et  par 
les  conseils  de  guerre  où  l'on  canarde  ses  enfants, lorsque, 
entre  deux  vins,  ils  protestent  contre  la  tyrannie  du  der- 
nier sous-o(T,  et  par  Fourniies,  et  par  les  insur!.'és  de 
Milan  que  canardaient,  hier  encore,  les  miliciens  d'Hum- 
herlo.cepomhinlque  le  souverain  festoyait  avec  placidité 
devant  son  peuple  expirant  de  famine. 

Ces  jolies  choses  plaisent  aux  belles  mondaines,  aux 
casernes  et  aux  séminaires.  M.  de  Vogué  ne  l'ignore  pas. 
Etre  un  sot  n'empêche  pas  qu'on  soit  un  aigrefin.  De  là 
ce  dithyrambe  académique,  cette  courbette  servi  le  du 
langoureux  Alelchior,  qui  connaît  h  quel  point  sont  utiles, 
honori(l(|ues  et  rémunéraloires  la  reptation  devant  le 
sahii',  r:iplatis>.('Mii'nl  devant  les  galonnés. 


NOTES  1 7.1 

Aux  premiers  jours  de  mai,  Rome  cciébrail  jadis  — 
avant  l'infeclion  chrétienne  —  une  Vigile  de  Vénits. 
Ainsi,  Melchior  de  Vogiié  solennise  à  sa  manière,  par  sur- 
croit de  bassesse,  la  Vigile  du  procès  Zola. 


Page  113  :     <.  Vive  l'armée!  »  exclama  Dcvoiilèûe. 

Si  l'ingénuité  se  mesure  à  l'aune,  M.  Paul  Déroulède 
représentant  des  trois  couleurs  et  de  la  ville  d'Angou- 
lême  —  est  digne  qu'on  l'immatricule  parmi  les  plus 
grands  bêtas  du  dix-neuvième  siècle.  Long  comme  un 
jour  sans  pain,  maigre  comme  un  aztèque,  avec  ses 
yeux  ronds,  ses  yeux  de  pruneau  cuit,  sa  bouche  déhis- 
cente, l'auteur  de  l'Hetmann  porte  sur  son  visage  l'expres- 
sion hébétée  d'une  candeur  que  cinquante  ans  n'ont  pu 
réduire.  Il  bée  naturellement,  comme  la  grenouille  au 
jeu  de  tonneau.  Il  gobe  les  mouches  de  toute  sa  lèvre  infé- 
rieure que  surplombe  un  nez  extravagant.  Ce  nez  lamen- 
table, pharamineux  et  truculent   contraste  avec  le  chef 


174  A   TRAVERS  LES  GROOINS 

exigu,  la  tcle  d'oiseau  sans  cervelle  —  dindon  ou  canari. 
Des  ailes  noires  pendent  au  corps,  achèvent  la  ressem- 
blance. L'on  ne  saurait  imaginer  Déroulède  sans  sa  rc- 
dingue  plus  que  Charles  XII  sans  ses  boites. 

Ce  n'est  pas  un  méchant  homme.  S'il  éructe  des  méta- 
phores sanguinaires,  des  Iropes  aussi  guerriers  que  mal 
bàlis,  la  faute  en  est  aux  dieux  qui  le  firent  si  bi'te.  Il 
brait, ''orarae  un  roussin,des  àneries  anthropophages  parce 
que  nulle  autre  virtuosité  n'est  dans  son  registre.Le  patrio- 
tisme est  un  refuge  suprême  on  les  ratés,  les  grimauds, 
sans  cœur,  esprit  ni  orthographe  peuvent  suspendre, 
comme  une  guirlande,  leur  imbécillité. 

Déronlcde  ne  crie  pas  :  <  Vive  l'armée  !  >  comme  Bar- 
rés pour  fréquenter  chez  des  personnes  titrées,  ni,  comme 
Jude(,pour  suborner  les  cuisinières,  ni,  comme  Dnimont, 
pour  crocheter  les  serrures.  L'éléphant  harit,  le  baudet 
renâcle  ;  ainsi  DéroulèJe  vocifère,  tendant  le  poin'.'  du 
coté  des  Vosges. 

C'est  un  €  mirliton  d'alarme»,  ainsi  qu'on  l'avait  sur- 
nommé, an  orgue  de  Barbarie  qui  moud  naturellement 
tous  les  poncifs,  toutes  les  sottises  du  chauvinisme  le 
plus  abject. 


NOTES  173 

Bourgeois  cossu,  paisible  et  de  mœurs  ilouiliettes,  il 
aime  les  soldais.  Il  rythme  la  mesure  à  l'escadron  en 
marche.  C'est  une  bonne  d'enfant  —  une  sorte  de  Germi- 
nie  Lacerteux,  bafouilleuse  et  militaire.  Il  s'attendrit  sur 
l'uniforme,  t  Tambours,  clairons,  musique  en  tète  »,  il 
suit  le  régiment  et  dégaine  avec  héroïsme  un  sabre  de 
bois.  Coppée,  lui,  adore  les  officiers,  les  panaches,  les 
bourreaux  galonnés  qu'il  sait  capables  d'égorger,  un 
beau  matin,  quiconque  pense  avec  hauteur. 

Les  sympathies  de  Déroulède  vont  de  préférence  aux 
troubades,  aux  pousse-cailloux,  aux  culs  terreux  de  la 
Grande  Muette,  qu'il  endimanché  de  solécismes  éperdus  : 
car  on  ne  saurait  trop  le  répéter,  c'est  le  plus  bénin  des 
hommes. 

Ses  vers  à  qui  Thérésa  prêtait  une  âme  tragique  au 
point  de  faire  illusion  sur  leur  néant,  ses  vers  dépassent 
l'imaginable.  Les  Intimités,  en  comparaison,  semblent 
une  œuvre  d'art. 

Et  gloire  d  ceux  que  rien  n'épouvante, 
Qui,  tombés  vainqueurs,  sont  morts,  réjouis. 
Leur  perte  qu'on  pleure  est  un  deuil  qu'on  chante, 
0  grands  cœurs,  ils  sont  l'dme  d'un  pays. 


176  A    TRAVF.nS    LES    GRODINS 

Eu  vcrilé,  le  capitaine  Lucien  Irabard  lui-même  ne 
saurait  Taire  mieux  ! 

El  certes,  il  est  juste  que  M.  Déroulède  ligure  à  la 
Chambre,  seul  lieu  adéquat  à  sa  mentalité.  Avec  le  talent 
qu'il  possède  et  l'esprit  qu'on  lui  voit,  il  peut  bien 
légiférer,  mais  non  rimer  des  poèmes  pour  le  chocolat 
Menier  ou  les  savons  du  Congo. 


Pa:-'e  m  :    Humbert  évumant,  furieux,  épUeptiqiu. 

Ce  nest  point  certes  une  savate  ordinaire  que  M.  Al- 
phiiMse  Humberl, ex-président  du  Conseil  municipal,  député 
majoritard  et  larbin  chez  Sabathierla  Buse,  ainsi  qu'A- 
jalberl  surnomma  le  grand  Chef  de  VEclair.  Ancien  mem- 
bre de  la  Commune,  condamné  à  mort  par  les  cannibales 
de  Versailles,  puis  expédié  vers  Nouméa,  le  boulet  aux 
pieds,  il  est  de  ces  martyrs  que  Proudhon  jugeait  presque 
aussi  odieux  que  les  tyrans. 


NOTES  177 

Les  jours  passés  à  La  Nouvelle  lirciil  cclorc  son  gouie, 
le  rendirent  au  monde  civilisé  prêt  à  n'importe  quelle 
besoijne  pour  conquérir  l'assietle  au  beurre.  Tel  Mahomet 
après  l'Hégire.  Les  caractéristiques  de  M.  llumbert 
manquent  de  complexité;  nul  n'est  plus  simple  que  lui, 
plus  naïf  daus  ses  manifestations.  L'ini^cnuité  de  ce  sexa- 
génaire tient  le  milieu  entre  la  pbanérogamie  des  grands 
singes  et  le  retroussis  violent  des  diarrhéliques.  Etats 
d'âme  peu  variés,  il  est  atteint  par  la  folie  des  grandeurs, 
il  a  toujours  besoin  de  cinquante  cenlimcs. 

Ces  deux  formes  de  cérébralité  parvinrent  à  leur  maxi- 
muni  de  gloire  pendant  la  visite  de  l'amiral  Avellan,  pre- 
mier numéro  du  cabotinage  franco-russe.  Eu  qualité  de 
prévôt  des  bourgeois,  Humbert  promeua  le  Moscove  dans 
les  carrosses  officiels,  à  travers  «  la  capitale»  et  le  «  tapa  » 
dequelques  francs  sous  la  custode.  Humbert  excelle  dans  le 
geste  d'emprunter  un  petit  écu.  Malgré  l'appellation  glo- 
rieuse de  père  Pol-de-vin  dont  le  blasonnèrent  ses  ronds- 
de-cuir,  la  nécessité  chronique  de  palper  quehiue  billon 
lui  est  un  empêchement  rédhibitoire  à  fomenter  les  plus 
juteuses  affaires. 

Il  n'est  bas  employé  à  l'hôtel  de  ville,  concierge,   ba- 

•12 


178  A    TIIAVERS    LES    OliOlUNS 

layeur,  ilonl  il  ne  souliie  la  inoiiiiaio,  sous  couleur  ilf 
lireiidrc  un  liacre  ou  d'acquérir  un  melon.  Encore  qu'il 
soit  plutôt  il'une  malpropreté  nauséabonde;  encore  qu'il 
ue  porle  point  le  maquillage  de  ma  tanle  Loti,  un  nu-me 
goût  théâtral  induit  le  vieux  communard  el  l'académicien 
d'urinoir  à  Ihuiibuler  devant  les  puissances  militaires. 
Son  voyage  à  Toulon,  pour  flagornor  l'escadre  russe,  pour 
intenter  le  lècheraenl  de  pieds  qui  lit  baver  les  âmes  tri- 
colores, comptera  dans  les  fastes  de  la  pitrerie  nationale 
et  de  la  servilité  française.  Humbert  qui,  pareil  à  Bilbo- 
quet, connail  toutes  les  banques,  hormis  la  Banque  de 
Franco,  ne  manqua  pas,  sitôt  débarque  dans  Toulon, 

ynic  que  l'infamie  et  la  gloire  enncmenccnt 
Où,  du  forçat  pensif,  le  fer  tond  les  ehevetix, 

d'aller  rendre  visite  au  serrurier  qui,  avant  son  départ 
pour  le  bagne,  l'avait  ferré,  de  ces  bienheureuses  chaî- 
nes qu'au  retour  il  exhiba,  pendant  plus  de  dix  ans,  à 
travers  les  réunions  publiques.  Ce  fut  beau  comme  le  De 
Mris,  la  Morale  en  actions  elles  Vi'w  do  Plutarque. 

La  chose  p  lurrail  fournir  un  sujet  au  concours  de  pein- 
ture pour  les  candidats  chez  qui  respirent  encore  les  sai- 


N0TE3  179 

nés  traditions.  Cela  ferait  suite  au  combat  des  Horaces,  à 
Brulus  immolant  ses  (ils,  à  Ximènes  recevant  la  pourpre 
dans  l'ergastule  d'un  couvent. 

Entre  à  la  Chambre,  Humbert  s'est  abondamment  pla- 
cé du  côté  du  manche.  Ses  votes  furent  toujours  empreints 
de  la  domesticité  la  plus  irréductible.  \  présent,  il  injurie, 
sept  fois  par  semaine,  les  honnêtes  personnes  que  dégoûtent 
encore  le  prêtre  ou  le  soldat.  Il  aboie  au.\  Juifs  d'après 
la  recette  druroontale  et  tire  sur  les  indépendants  ses 
vieilles  flèches  canaques  rapportées  de  Nouméa. 


Page  114  :    Marie  Aime  de  Keroubim. 

Keroubim  :-    Bovel  alias    petit  bœuf,  comme    chacun 
sait. 


Page  121  :    Les  pasteurs  de  la  contrée  venus  en  foule. 

Le  soleil  froid,  dans  un  ciel  bleu  de  lin,  aux  horizons 
de  perle,  flambe  sans  chaleur  comme  une  inerte  pierrerie. 


1S'1  A    TRAVERS    LKS    GROCIXS 

Une  buée  couleur  d'ardoise,  où  meurent,  rà  et  là,  des  ro- 
ses défaillantes,  conrond  les  avenues  sous  ses  troubles 
réseaux.  Le  sol,  d'un  jaune  impénétrable  — silex  et  terre 
cuite  —  résonne  sous  les  pas,  ainsi  qu'une  dalle  funèbre. 
Tout  en  haut,  les  étoiles  rèches  de  décembre  fulpurent 
peu  à  peu,  tandis  que,  vers  l'Orient,  s'affirme  une  lune 
blême,  ai^uë  et  pâle  comme  un  couteau  d'acier. 

La  rue  a  mis  sa  bêtise  des  jours  carillonnés,  les  passanXs, 
leur  bideur  du  dimanche.  C'est  un  vomissement  des  arrière- 
boutiques,  une  mise  au  jour  de  tous  les  batraciens  que 
cachent,  en  semaine,  les  bureaux.  Les  tovous  nationalis- 
tes et  antisémites  font  trêve  aux  clameurs  assassines 
pour  offiir  aux  chalands  des  jouets  scatologiques  ou  du 
poil  à  gnitter.  Urbanité  française  !  Les  échoppes  des  ca- 
melots encombrent  la  chaussée  de  mille  inventions  abjec- 
tes,depuis  les  caries  porno^'raphiques  jusqu'aux  Bons  Dieux 
en  chromo.  Et  ce  sont  des  toupies  bombinantes,  des  fla- 
geolets aux  sons  aigus,  des  musiques  térébrant  le  cerveau. 

Les  cathédrales  font  au  boulevard  une  déloyale  concur- 
rence. Messieurs   les  archiprêfres  organisent,  dans  leurs 
.  édifices  réciproques,    de   funestes  beuglants,  annoncent 
M"'  de  Trédcrn  pour  les  pince-chose  et  la  messe  de  mi- 


NOTES  181 

nuit.  Car  le  monde  civilisé  se  conjouit  présentement. 
Voici  le  jour  natal,  voici  l'heure  solennelle  du  n  Rédemp- 
teur »  à  qui  nous  devons  la  Saint-Barthélémy,  l'Inquisi- 
tion, les  Dragonnades  et  le  R.  P.  Dulac.  Chacun  célèbre 
à  sa  manière  le  «  gluant  »  de  Bethléem  :  les  ânes  patriotes 
et  les  bœufs  cléricaux  et  le  Joseph  de  la  villa  Dupont. 
L'adoration  des  mages  s'effectue  comme  par  le  passé. 
Le  roi  nègre  Cassagnac  offre  l'encens  —  thus  et  myrrham 
—  de  sa  copie;  MelchiorDrumont,  l'or  chapardé  aux  juifs 
de  la  rue  Bab-.\zoun,  tandis  qu'Arthur  Meyer,  descendu 
de  chameau,  fait  agréer  l'oliban  de  ses  hautes  manières. 
Les  personnes  enclines  à  la  mysticité  s'indigèrent  de  sa- 
crements à  l'heure  où  d'autres  bedeaux  tortorenl  de  la 
charcuterie  à  s'en  faire  crever.  Le  boudin,  cette  nuit,  de- 
vient eucharistique  ;  le  pain  des  anges  assume  un  petit 
.goût  d'oignon;  les  pochards,  attendris  par  un  mélange 
de  vinasse  et  de  chrétienté,  barytonnent  des  Noëls  eu 
contre-point  de  leurs  indigestions  : 

De  notre  foi  que  la  lumière  ardente 
Nuits  wène  tous  au  hereeau  de  l'enfant. 


IS2  A   TRAVERS   LES    GROLIXS 

Il  n'est  pa-;  jusques  aii\  vieilles  dames  dont  quelque 
espoir  ne  passeraenle  les  soûl  iers  avachis. Ma  tante  Viaud  se 
délecte  pour  un  songe  qui  redresse  en  fuseaux  ses  rotules 
cagneuses.  Jean  Lorrain  imagine  qu'il  centralise  enfin, 
dans  sa  belle  patrie,  l'amour  unisexuel  et  que,  sous  une 
chape  d'améthyste  et  d'or,  il   devient  pape  des  Urniens. 

Mais  les  triomphateurs  de  cette  nuit  charmante  sont 
Messieurs  les  épiciers,  prestidigitateurs  de  la  mélasse,  il- 
lusionnistes du  saindoux.  Les  abricots  au  navet,  les  pra- 
lines d'arachide  et  les  marrons  placés  au  sucre  diabétique 
battent  leur  plein  au  sein  du  réveillon.  Noël  à  tous  et 
Merry  Christmas  1  Le  gui  pend  aux  solives  des  bistros  : 
mais  la  poix  qu'on  en  sort  agglutine  les  puddings.  Ma 
concierge  offre  aux  enfants  de  remballeur  un  escarpin  en 
sucre  avec  Jésus  dedans. 

Sur  les  ottomanes  des  gargotes,  la  Vénus  vulgivague 
préparc  au  pharmacien  des  matinées  heoreuses.  Car  c'est 
un  fait  de  notoriété  :  le  réveillon  conduit  ses  officiants 
chez  l'apothicaire,  demain,  pour  l'Honjadi-Janos  et,  dans 
huit  jours,  pour  le  prolo-iodurc.  Les  journaux  à  images 
fonrmiljenl  il'liistoircs  dévotes,  accommodées  en  «  Christ 


NOTES  183 

mascards  ».  C'est  une  crise  aiguë  de  romances  —  genre 
éminemment  national  —  et  de  laideur  et  d'imbécillité. 

Qu'il  fera  bon,  ce  soir,  dans  la  chambre  fermée,  au 
coin  du  feu  qui  s'alanguil.  Quelle  joie  de  tirer  les  Tcrrous 
et  d'éteindre  la  lampe  avant  l'heure  où  marguillers  et 
poivrots,  sur  l'arène  convomie,  renouvelleront  aux  yeux 
frcids  de  constellations,  le  tourment  de  Saint-Godepin 
qui  fut,  ainsi  que  chacun  sait,  «  martyrisé  de  pommes 
cuites  'I. 

21  décembre  1897. 


TABLE 


TABLE 


DcJicace 7 

Prc.jautions  oiatoiies 9 

La  prière  pour  tous 17 

Villanelle  :  C'est  l'arbitre  du  bon  ton lO 

Maintenear  de  jeux  floraux -3 

Chauvinisme  sardinier 25 

Prédicateurs  de  carême.     .    .         27 

Vieille  dame 29 

Nationalistes 31 

Da'lade  pour  congratuler 33 

La  Malédiction  de  Pallas 36 

Rochefort  aux  glaviots 38 


188  A  TRAVERS  LES   GROl'INS 

Sonnet  :  ilarquiae  de  Rochefovt,  y  Gérante,  ô  Ga- 
vroche   40 

Villanellc  :  Vervoort  est  un  poisson  bleu  ....  42 

Villanelle  :  André  Vervoort  nous  assigne.     ...  41 

Dallade  pour  célébrer  le  fiasco  de  M.  Gaston  Méry  46 

Villanelle  :  Drumont  fut  assassiné 40 

Dallade  patriotique  surla  louangedu colonel  Henry  52 

Dallade  pour  magnifier  le  cerveau-chef  ....  53 

Les  électeurs  de  la  Meurthe  et  de  la  Moselle.    .     .  58 

Ballade  pour  exalter  les  doyennes  du  persil.     .    .  CO 

Chant  royal  de  la  mansuétude  ecclésiastique     .    .  6.3 

Odelette C" 

Qualorzain  d'hiver 71 

Mélancolie  odéonesquc 73 

Candidats  à  rijiiraorlalité 75 

Prix  de  vertu 78 

Kondel 8J 

Conscrits 8-2 

Foire  aux  jambons 8i 

Vendredi-Saint 87 

Le  «  petit  épicier  »  fait  ses  P.îqucs 89 

Idylle  suburbaine '•'1 


TABLE 


1S9 


Chemin  J'églogue '-l? 

Troisième  sexe 9'.' 

Fèlc  nalinnalc       Il'l 

Ballade  14  juillet Iii3 

Uu  souper  chez  Siinou  Icpliaiisicn  (conte  de  Noël).  I!l9 

Les  Mages  au  Berceau 110 

Eûlie  soutanes 129 

Noies  et  additions 139 


universités 


•^  Unwersitas    n. 


33? 


ioU^ 


iothèque 
d'Ottawa 


ionce 


The  Library 

Univers! ty  of  Ottawa 

Date  due 


CE 


a39003  003^0353 1 b 


et    PQ      2639 

•  A5A7  1899 

COO   TAILHACE,  LA  A  TRAVERS 

ACC#  1241627